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REVUE. — CHRONIQUE.

mène, s’il en est encore, on a dans Mlle Brohan une jolie soubrette déjà assez forte en gueule et toute façonnée. Les pièces nouvelles elles-mêmes ne cessent pas. Les académiciens et ceux qui veulent l’être paient de leur personne. Après M. Alexandre Soumet, voilà M. Alexandre Dumas qui arrive dare dare de Florence pour pousser la veine heureuse que quelques-uns ont grand tort, selon nous, de lui reprocher, car elle est toute naturelle chez lui, elle amuse, elle repose de ces grands drames passionnés sans doute, mais un peu échevelés, que prodiguait sa jeunesse et que la jeunesse seule pouvait tout-à-fait goûter. On a eu beau vouloir réformer et enfoncer nos pères, on y revient. L’essentiel est d’y revenir de bonne grace et en fils de la maison. Cette fois encore, comme dans Mademoiselle de Belle-Isle, c’est Un Mariage sous Louis XV ; à la bonne heure ! on n’en sortira pas.

Nous n’avons point à raconter la pièce de M. Dumas ; l’intérêt de sa comédie repose beaucoup moins sur la donnée même, qui est fort simple, que sur les développemens plus ou moins piquans que l’auteur en a tirés. Remarquons pourtant tout d’abord que l’auteur s’acclimate : dans Un Mariage sous Louis XV, sauf le dernier acte, l’allure comique est conservée toujours ; l’analyse fine et gaie des passions suffit constamment à occuper, à éveiller l’attention. Dans Mademoiselle de Belle-Isle, le drame se montrait encore, l’émotion prétendait usurper sur le sourire ; en plus d’une scène, le côté régence et capricieusement rajeuni ou vieilli s’effaçait devant un ton trop moderne ; les fines réparties de Richelieu se croisaient avec des ressouvenirs un peu délirans de Teresa et d’Antony. Dans Un Mariage sous Louis XV, la peinture du XVIIIe siècle a gagné du moins en unité et en vérité. Les deux rôles les plus sérieux même de la pièce, ceux du chevalier et du commandeur, ne s’écartent jamais du ton qui sied à la comédie. Pendant les quatre premiers actes, pendant le premier et le quatrième surtout, l’impression de gaieté, de curiosité joyeuse, se soutient à merveille. Tout se passe en vives causeries, en incidens assez aimables ; on est en plein XVIIIe siècle enfin. Nous n’ignorons pas qu’on a exprimé sur la pièce de M. Dumas une opinion toute différente de celle-ci. On a reproché au peintre de n’être ni original, ni fidèle. Assurément, ayant à traiter une donnée à peu près semblable, Marivaux a fait tout autrement parler ses personnages ; il a mis dans leur bouche un langage charmant, quoique plein d’afféterie ; il a traduit les passions et l’esprit de son époque dans leurs plus fugitives nuances. Mais n’est-il pas une autre manière de nous peindre et de nous raconter le XVIIIe siècle, surtout à distance ? Tout s’est-il passé alors en conversations subtiles et maniérées ? Le siècle n’a-t-il point eu aussi un côté essentiellement dramatique, aventureux, mobile, folles intrigues, paris téméraires, liaisons capricieusement dénouées, la part qu’a choisie M. Dumas enfin ?

Nous ne croyons pas non plus qu’on puisse reprocher sérieusement à la pièce nouvelle de manquer d’originalité. Jamais, au contraire, cette spirituelle entente de la scène, qui est une des qualités distinctives du talent de M. Dumas, ne s’est montrée plus clairement que dans quelques parties d’Un