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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

bientôt du mauvais goût de mon eau, mais ce fut bien pis encore le lendemain, aux puits de Laghittah ; je vis que l’eau annoncée comme très douce était saumâtre et sulfureuse, nos montures seules en burent avec plaisir ; j’insistai, néanmoins pour en faire remplir trois outres, et nous continuâmes notre chemin. J’avais pris des vivres pour six ou huit jours, mais mon chamelier, comptant se nourrir à mes dépens, s’était bien gardé d’en prendre pour lui. Je fus obligé de pourvoir à sa voracité ; mon biscuit blanc et le peu d’accessoires que j’y joignais avaient de quoi affriander un pauvre Arabe ne vivant d’ordinaire que d’un pain grossier de dourah. Ainsi cet homme avait visé à me pressurer de toutes les façons. Voulant aussi marcher à petites journées, afin d’augmenter ses bénéfices pour mieux atteindre son but, il faisait le malade et se couchait au milieu du chemin, restant étendu comme un mort. Je le laissais sans faire mine de l’avoir vu, et il fallait bien ensuite qu’il courût pour nous rejoindre. Il trouvait d’ailleurs à chaque instant des prétextes pour s’arrêter : prendre de l’eau, renouer quelque corde détachée. Enfin, ralentir la marche étant son idée fixe, il parvenait bon gré mal gré à gagner du temps, et nous n’arrivâmes que le quatrième jour à l’Hammamât, station antique où il y a un puits dont l’eau est encore plus détestable que celle de Laghittah. Personne n’en put boire, pas même les animaux, et nous dûmes, mourant de soif, nous contenter de l’eau de Bir-Ambar, devenue rouge, et qui exhalait une odeur de vieux bouc.

Le puits de l’Hammamât est situé au milieu de hautes montagnes basaltiques, à croupes arrondies ou pyramidales, noirâtres comme des amas de houilles et de cendres. Ces montagnes sont un produit igné dont le trapp et la serpentine forment la base, et qui, à une époque peut-être récente, géologiquement parlant, s’est fait jour à travers un plateau calcaire, puis le divisant en deux parties, a rejeté l’une vers l’orient, où elle forme le littoral de la mer Rouge, et laissé l’autre à l’occident, où ses flancs escarpés bordent la vallée du Nil. Le puits de l’Hammamât est au centre d’un carrefour où aboutissent deux vallées secondaires et que traverse la route de Qosseyr. Ce puits est remarquable par sa profondeur et sa construction, analogue à celle du puits de Joseph, dans la citadelle du Caire. On y descend par un escalier qui tourne en spirale et qu’éclairent des jours pris sur le puits ; cela est effrayant à regarder. Il existe autour de l’ouverture, d’un diamètre de vingt-cinq pieds au moins, un dallage dans les matériaux duquel on remarque plusieurs caisses et couvercles de sarcophages en basalte, ayant la forme de momies, restés à l’état d’ébauche