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doutait les sifflets, la Porte devra encore une fois, sous une forme ou sous une autre, signer l’émancipation du chrétien.

On aurait tort, ce nous semble, de vouloir solliciter l’intervention immédiate des gouvernemens. Si le mouvement n’est pas sérieux, la démarche serait repoussée, et les cabinets, qui, dans ce moment, veulent avant tout le statu quo, donneraient avec plus d’empressement encore à la Porte le conseil, peut-être les moyens, de le comprimer. S’ils n’osaient pas lui prêter des hommes, leurs scrupules ne seraient pas les mêmes pour des secours moins faciles à reconnaître.

Si le mouvement est sérieux, il faut le laisser grandir et se développer. La Porte n’a pas les moyens de réprimer un mouvement sérieux. Les succès fussent-ils divers, incertains, peu importe ; il n’est pas nécessaire de faire subir aux Turcs de sanglantes défaites, de remporter sur eux de brillantes et décisives victoires. Nous ne portons pas nos espérances si haut. Ce qui importe, c’est de lutter, de lutter sans cesse, avec une courageuse opiniâtreté. Le temps et la durée sont pour les bonnes causes : aujourd’hui plus que jamais. Le jour viendra où l’Europe entière assistera à ces combats, en spectatrice pleine d’anxiété et d’impatience, prête à s’élancer dans l’arène. C’est alors que l’intervention des gouvernemens sera opportune, car l’opinion publique les dominera tous également ; ils seront contraints d’agir, et ils n’oseront pas agir trop mal.

Aujourd’hui leur intervention, à supposer qu’elle eût lieu, ne servirait qu’à tout rapetisser et à tout gâter. D’un côté, il serait plus que difficile dans ce moment d’obtenir des cinq puissances une intervention unanime, quelque peu sincère et désintéressée ; d’un autre côté, toute intervention particulière de l’un ou de l’autre des grands états européens serait un fait de la plus haute gravité. La moindre conséquence qu’il pût produire serait d’entretenir un esprit de défiance et de soupçon qui obligerait chaque puissance à se tenir debout, tout armée, toute prête au combat. Et comme un pareil état de choses serait onéreux et antipathique à l’esprit du siècle, des explications seraient demandées, seraient données, et ne tarderaient pas à se convertir, sous la main souple et complaisante de la diplomatie, en je ne sais quelle convention dont sans doute la cause de la religion et de l’humanité ne pourrait pas s’enorgueillir.

Les affaires de l’Orient pourraient en effet se prêter à des solutions très diverses. Pour ne parler ici que de Candie, que pourrait-on espérer dans ce moment, lorsqu’il n’est pas encore prouvé qu’il est impossible à la Porte de ressaisir, avec ses moyens, la domination paisible de cette île ? La réunion de l’île au royaume de Grèce ? Dans ce moment, ce n’est qu’un rêve. L’Angleterre en particulier s’y opposerait de toutes ses forces, et sa résistance embarrasserait fort tous ceux qui n’ont cessé de proclamer l’intégrité de l’empire ottoman. Après avoir, au nom de ce principe, violemment enlevé la Syrie à l’administration régulière du pacha, enlèverait-on aujourd’hui Candie à la Porte, parce que quelques milliers de chrétiens y sont en révolte contre l’autorité du sultan ?