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prégna de son esprit. Sous la dynastie de Bragance, le clergé régulier prit beaucoup d’accroissement, et l’action des ordres mendians sur les mœurs de la nation devint si active et si corrosive, qu’on ne saurait guère l’en séparer. On peut donc diviser l’histoire portugaise en trois grandes époques, marquées de caractères différens : celle des évêques, celle des nobles, celle des moines. Le marquis de Pombal, tout en accablant les ordres monastiques supérieurs, épargna les plus humbles. Les franciscains gagnèrent aux dépens des jésuites, comme les petits gentilshommes s’étaient accrus au préjudice des grands. Ce fut un abaissement et non une réforme. Aujourd’hui les prêtres et les moines se sont mêlés à tant de guerres et de dissensions civiles, beaucoup d’entre eux ont tellement avili leur caractère en mettant la religion et leurs personnes au service de toutes les passions et de toutes les intrigues, que le clergé portugais a dû subir la loi générale et partager la dépréciation qui pèse sur le pays[1]. Du reste, la révolution historique qui date du règne des Bragance a partout produit les mêmes effets ; tandis que les idées, les sentimens du peuple, demeuraient immobiles, elle a constamment autour de lui abattu tout ce qui était élevé. Les préjugés et les vices des classes inférieures ont été encouragés pour éteindre toute supériorité, et quand, par suite des vides faits dans la société portugaise, un nouvel état de choses s’est de lui-même substitué au précédent, il est arrivé qu’à défaut d’une aristocratie habile et d’un clergé distingué, on trouva moins encore un peuple fait pour la liberté et propre à sa situation nouvelle.

On voit que, de tous les anciens élémens constitutifs de la nation portugaise, le pouvoir royal était seul resté intact ; il s’était même accru, et se serait enrichi des dépouilles de tous les autres, si de pareils héritages pouvaient jamais solidement profiter aux princes. Le peuple portugais n’est pas de caractère à se mêler de ses propres affaires ; il laisse faire ceux qui le gouvernent, il blâme, il dénigre, sans agir jamais ; il attend qu’un évènement, auquel il compte bien ne prendre aucune part, le tire d’embarras, et se contente de regretter et d’adorer le passé. Le pouvoir royal était donc la seule force vivante ; il portait le poids de toutes ses usurpations, et le sort du Portugal et ses destinées futures dépendaient de la manière dont il serait exercé. Malheureusement, ce lourd fardeau tomba, à la fin du dernier siècle, entre les

  1. Les étrangers s’étonnent de voir le mépris et les insultes dont les gens du peuple accablent souvent un moine de Saint-François, et en même temps le profond respect qui accueille et accompagne le passage du viatique ; tout le monde s’agenouille, se découvre, baise la terre et prie avec ferveur. Les Portugais ne se piquent pas de logique ; ils sentent et ne raisonnent pas. C’est l’esprit qui se complaît dans l’analyse, non le cœur. Les sentimens exercent sur eux l’influence qui appartient aux idées chez nous, et l’imagination joue le même rôle que le caractère pour les Français. Aussi leurs instincts sont-ils les plus tenaces et les plus permanens qu’on puisse voir, tandis que rien n’est plus fugitif que leurs engouemens et plus contraire que leurs fantaisies. C’est une société immobile au fond, mais dont le souffle le plus léger agite la surface.