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d’infidélité d’une telle nature, qu’il fut forcé de rompre tout rapport intime avec elle. L’affliction qu’éprouva le prince, jointe au mauvais état de sa santé, le fit tomber dans un état de marasme accompagné d’accidens nerveux. La reine renonça dès-lors à dominer le cœur du roi, et résolut de profiter de l’état où elle-même l’avait réduit pour tramer une conspiration. Jean VI devait être conduit de force à Villa-Viciosa et déclaré en état d’imbécillité, tandis qu’avec le titre de régente la reine Charlotte aurait gouverné au nom de la reine Marie[1]. C’était un complot dans l’ancien style, une conjuration de palais, à laquelle les principes politiques n’eurent aucune part. Au moment de l’exécution, la reine s’effraya, se jeta aux pieds du roi et lui dénonça ses complices. Forcée ensuite de suivre tous les membres de la famille royale dans leur fuite au Brésil, elle affecta de ne pouvoir supporter ce climat, dans l’espoir de retourner à Lisbonne, et de parvenir, une fois en Portugal, à gouverner le royaume. En même temps ses intrigues allaient chercher les chefs de plusieurs provinces de l’Amérique du sud, entre autres, le docteur Francia. Lorsque, après la révolution de Porto, le roi fut rappelé en Europe, comme il parut au premier moment essayer d’en imposer aux cortès, elle s’efforça de séduire les membres les plus exaltés de cette assemblée, ce qui rappela certaine bienveillance témoignée aux cortès de Cadix ; mais quand le roi se fut soumis à tous les désirs de l’assemblée, la reine refusa de jurer fidélité à la constitution, sous prétexte qu’elle s’était promis à elle-même de ne jamais faire aucun serment, bon ou mauvais. Six mois avant l’époque où je suis parvenu, elle avait été exilée à Ramalhao.

On a peine souvent à démêler les intrigues compliquées qu’elle ourdit ; les agens de ses menées sont si obscurs, qu’il est malaisé de suivre leurs traces, mais l’ensemble des actions de la reine prouve que son but constant fut d’usurper l’autorité. Elle ne pouvait y parvenir qu’en s’attaquant à la personne du roi, que tous les partis respectaient. Ainsi donc, dès que le roi court quelque danger, et que l’on tente de faire passer le sceptre en d’autres mains, on peut dire hardiment que c’est le parti de la reine qui agit. Don Miguel lui devenait un instrument nécessaire. Aussi l’accabla-t-elle de caresses ; elle l’associa à tous ses projets, et fit de lui le séide de ses volontés. L’oisiveté de l’infant et sa brutale indifférence le rendaient parfaitement propre à devenir l’agent docile de turbulentes intrigues. Il passait son temps au milieu des vastes prairies où paissaient de nombreux troupeaux de taureaux qui servaient à ses

  1. La reine Marie Ire, qui succéda au roi don José, fut, peu de temps après son avénement au trône, atteinte d’une monomanie religieuse, suite des troubles de conscience que lui avait causés dès sa jeunesse l’administration du marquis de Pombal. Son fils don Juan prit en 1792 les rênes du gouvernement sous le titre de régent, et exerça le pouvoir en cette qualité jusqu’à la mort de sa mère, qui eut lieu au Brésil dans l’année 1817. Comme je ne parle qu’incidemment de cette époque de la vie du prince, pour éviter de trop longues explications, j’ai toujours désigné le régent sous le nom de Jean VI.