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avec l’époque où le canal devait nécessairement chômer. C’est alors qu’Antoine trouva Cléopâtre occupée de son entreprise. On conçoit que cette princesse, dans l’excès de sa frayeur, craignant à chaque instant de voir arriver Octave à la tête de sa flotte victorieuse, ne pouvait patiemment attendre trois ou quatre mois que le retour de l’inondation eût rendu le canal navigable.

Elle prit donc le parti extrême de faire passer des vaisseaux par-dessus l’isthme, de Péluse à Héroopolis. Antoine la fit renoncer à cette entreprise, en lui montrant qu’il disposait encore de ressources considérables. Mais il est probable qu’elle aurait d’elle-même abandonné l’opération, ayant rencontré un obstacle, auquel elle ne s’attendait pas, dans l’opposition des Arabes de Pétra, qui brûlèrent les premiers vaisseaux qu’elle avait fait passer.

Ainsi le fait rapporté par Plutarque peut être fort exact sans contredire les témoignages concordans de Diodore et de Strabon. On doit en conclure, non que le canal avait cessé d’être en usage, mais que la navigation y était forcément interrompue, lorsque Cléopâtre voulut faire passer sa flotte dans la mer Rouge.

C’est donc à présent un point démontré que le canal fut achevé par Ptolémée Philadelphe.

Ce résultat change les idées qu’on s’était faites sur le but du canal et de la route commerciale établie par le même prince entre Bérénice sur la mer Rouge et Coptos sur le Nil, un peu au-dessous de Thèbes. Cette route, tracée à grands frais et parfaitement entretenue, était divisée en onze stations, où se trouvaient des aiguades (Ὑδρεύματα), c’est-à-dire des puits, des citernes, parfois des sources, et des logemens pour abriter les caravanes.

On a cru généralement, d’après Robertson[1], que cette voie de communication avait été établie parce que Philadelphe, n’ayant pu achever le canal commencé, avait senti la nécessité de le remplacer par la nouvelle route de Bérénice à Coptos.

Mais puisqu’il est démontré que le canal a été terminé sous son règne et a servi pendant toute la domination des Lagides, il l’est également que la route de Bérénice n’a point été établie pour le suppléer. Une circonstance prouve même qu’elle a été tracée auparavant ; c’est le nom d’Arsinoé, donné par Philadelphe à la ville qu’il fonda à l’embouchure du canal. Il résulte de recherches dont je ne puis donner ici que le résultat, que toutes les villes fondées par ce

  1. Histor. Disquisition on India, p. 39.