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LITTÉRATURE DE L’ARCHIPEL D’ASIE.

en deux classes : l’une qui cherche à découvrir l’affinité des langues par la comparaison des mots pris isolément dans le dictionnaire, l’autre par le rapprochement des formes grammaticales. Dans l’opinion des premiers, si des mots tirés de deux ou plusieurs idiomes ne sont point du nombre de ceux que la conquête ou des relations commerciales ont pu porter d’un peuple à l’autre, mais expriment les premiers et les plus simples besoins de la vie sociale, et répondent aux élémens fondamentaux du langage, il y a preuve d’une parenté originelle entre ces idiomes ainsi qu’entre les peuples qui les parlent. Je serais porté à admettre cette conclusion, si la méthode par laquelle on l’obtient n’était plus souvent très arbitraire. En effet, les linguistes de cette école ne sont pas d’accord sur le choix de ces mots primitifs à comparer, encore moins sur le nombre de ceux dont il faut que l’identité soit reconnue pour affirmer cette double communauté d’origine. Enfin, plusieurs d’entre eux se contentent, pour prononcer qu’il y a identité entre deux mots, de l’existence d’une seule lettre en commun, renouvelant ainsi les défauts de cette vieille école d’étymologistes dont les travaux sont frappés aujourd’hui d’un discrédit mérité. Les principes admis par les partisans de la méthode grammaticale sont plus rigoureux, et les seuls qui soient vraiment philosophiques, car ils reposent sur la comparaison des élémens les plus profonds du génie des langues, les formes grammaticales. Entre deux idiomes qui ont les mêmes pronoms, un même système de déclinaison et de conjugaison, et dont les mots sont formés d’après un mode analogue de dérivation, l’unité d’origine ne saurait être douteuse. Ainsi, si l’on parcourt le dictionnaire du kawi ou ancien javanais, l’on verra que sur dix mots il y en a neuf sanskrits et un seul d’origine océanienne ; ne semblerait-il pas, d’après cela, que le kawi doive être classé dans la famille des langues de l’Inde ? Eh bien ! nullement, sa grammaire prouve incontestablement qu’il appartient à la famille océanienne.

Les considérations qui précèdent ne doivent pas faire conclure que je donne une préférence exclusive à la méthode grammaticale sur la méthode lexique ; je pense au contraire que l’une et l’autre doivent être employées simultanément, et que ce n’est pas trop de cette réunion pour arriver à des résultats linguistiques certains, et se garder de ces rapprochemens ingénieux dont l’imagination fait souvent tous les frais.

C’est en se servant de ces deux moyens d’investigation avec la sagacité qui faisait le propre de son esprit, que Guillaume de Humboldt