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l’amour et le pardon et les hérétiques ne sont encore à leurs yeux que des étoiles tombées du ciel. Ces hommes puissans par la parole et la vertu donnaient au besoin leur sang en témoignage de leur foi, et ils persuadèrent. Mais le christianisme ressemble à ces vieux monumens que chaque génération dégrade à son tour. Du VIIIe au XIe siècle, la foi et les hautes vertus pratiques se perdent dans la barbarie. Au temps d’Agobard, les prêtres ont oublié l’oraison dominicale, le peuple a oublié le signe de la croix ; alors la parole évangélique est sans éclat et sans écho. Ce n’est qu’avec Pierre de Celles, avec Hugues de Saint-Victor, avec saint Bernard, que le Verbe chrétien a reconquis sa puissance ; la prédication, à cette époque, présente un double caractère, elle est active et contemplative ; elle fait les croisades ou se recueille dans le cloître, pour expliquer le Cantique des cantiques à ces moines dont le cou s’est retiré en arrière à force de regarder le ciel. Malheureusement le mysticisme a bientôt replié ses ailes ; les extases des amours célestes ne remplissent pas tous les abîmes des cœurs, et Satan, sous les traits d’une nonne, s’introduit souvent dans la cellule du prieur et de l’abbé, comme il allait, déguisé en courtisane, tenter saint Antoine dans sa grotte. Le clergé s’est enrichi, les moines de Cluny n’attendent plus en carême, pour rompre le jeûne, que les premières étoiles se lèvent au ciel. Les évêques négligent la chaire et l’office divin pour la chasse, et comme les chanoines du Lutrin qui laissaient à des chantres gagés le soin de louer Dieu, les dignitaires ecclésiastiques délèguent à des prêcheurs salariés la mission d’annoncer la parole divine. On prêche pour de l’argent, et ainsi que le dit un trouvère :

Danz denier et les granz sermons.

La parole évangélique se dégrade avec la foi qui s’altère. Clémangis, Gerson, d’Ailly, réclament en vain pour la chaire cette réforme qu’ils avaient demandée pour la discipline ecclésiastique, et qui eût prévenu peut-être, si elle se fût accomplie, l’insurrection de Luther et de Calvin. Les prédicateurs, en vivant de la vie du monde, en se mêlant à ses passions, en avaient pris la licence. Le désordre des mœurs passa dans leur parole, et Boccace, pour justifier ses contes, invoqua le cynisme des sermons. Vincent Ferrier rendit un instant à l’enseignement parénétique sa rigidité primitive ; mais l’apôtre espagnol s’adressait au peuple : il avait besoin, pour se faire écouter, de lui parler de choses actuelles, de descendre au détail de sa vie pratique et bourgeoise. Il acheva de séculariser la prédication, et après lui les sermonnaires, pour mieux captiver l’auditoire, ne tardèrent point à mêler à leurs discours des allusions aux affaires du temps. Dès les premières années du XVe siècle, la politique active fait irruption dans la chaire. Les Armagnacs et les Bourguignons ont des prédicateurs à leurs gages. On s’approche de la ligue. L’opposition de certains membres du clergé au pouvoir, à la royauté, à la papauté même, devient patente, et se traduit publiquement par des paroles qui se traduisent elles-mêmes en actes. Jacques-le-Grand, prêchant devant Charles VI, avait osé dire que le roi est vêtu du sang et des larmes du peuple. Jean