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Toute la France sait que, dans un discours électoral récemment prononcé à Tiverton, lord Palmerston, pour glorifier son administrateur, a cru devoir mettre en parallèle la conduite, selon lui, sauvage, féroce, déshonorante des Français en Afrique, et la conduite pleine d’humanité, de justice, de grandeur d’ame des Anglais dans l’Afghanistan. Le résultat, selon lord Palmerston, c’est qu’en Afrique un Français ne peut s’éloigner des postes militaires sans être assassiné, tandis que dans l’Afghanistan tout officier de l’armée peut parcourir seul le pays tout entier, avec le nom anglais pour unique passeport, et sans autre peine que celle de recueillir les bénédictions des habitans. « Nouvelle preuve, ajoutait sa seigneurie, qu’il est au ciel une Providence pour punir le mal et pour récompenser le bien. »

Voilà certes un tableau auquel il ne manque rien. Malheureusement pour lord Palmerston et pour les populations dont il parle avec tant d’onction, il est d’autres récits, même anglais, qui présentent les choses sous un aspect beaucoup moins riant. Selon ces récits, l’invasion anglaise n’aurait amené dans l’Afghanistan que l’anarchie, la discorde et le massacre. On aurait détruit les maisons des habitans les plus paisibles, pillé et vendu leurs provisions d’hiver pour faire des parts de prise, brûlé leurs moissons, réduit par la violence et par la terreur leurs femmes et leurs enfans à aller mourir de faim dans les montagnes voisines. Et, après tous ces beaux exploits, on serait moins avancé que le premier jour. Ce n’est pas un journal de Paris qui parle ainsi, c’est un journal de Bombay.

Cela ressemble peu à l’idylle de lord Palmerston, et la mansuétude anglaise est assurément bien venue à nous reprocher notre férocité. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il faut aujourd’hui plus de troupes pour garder la conquête qu’il n’en a fallu pour la faire. Il est certain que la domination du mannequin que lord Keane a mis sur le trône est moins assurée que jamais. Il est certain que les populations belliqueuses du centre de l’Asie prouvent chaque jour qu’entre leur bravoure sauvage et la timide résignation des Indiens il n’y a rien de commun. Quant à la Chine, si la résistance n’est pas vive, elle est persévérante, et l’on ne sait ce qu’il faut le plus admirer, du naïf orgueil avec lequel, à chaque défaite, l’empereur du céleste empire donne l’ordre positif d’exterminer enfin les barbares qui abusent de sa patience, ou de la merveilleuse bonhomie dont les agens anglais, contre leur habitude, ont jusqu’ici fait preuve dans toutes leurs négociations. La guerre chinoise, comme celle de l’Afghanistan, n’en menace pas moins de devenir une des plus longues, une des plus