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trice protestante, adresse si violente, si injurieuse, que M. O’Connell ne trouve rien de mieux que de la réimprimer textuellement et de l’expédier presque sans commentaire à tous les prêtres du pays. D’un autre côté, le discours de M. Steele, protestant libéral, qui félicite les non électeurs de comprendre enfin leur devoir et de parcourir les comtés par masses puissantes, pour engager pacifiquement les électeurs à ne pas trahir leur pays et leur Dieu ; qui, de plus, répondant à M. Grogan, prononce cette phrase accueillie par des acclamations frénétiques : « Que les orangistes y prennent garde ; s’ils frappent le premier coup, tous les catholiques, tous les libéraux se lèveront, et en vingt-quatre heures il n’y aura pas un orangiste vivant en Irlande ! » À la suite de ces provocations, enfin, des scènes à la fois sanglantes et bouffonnes, des maisons ravagées et démolies, des propriétaires qui, pour soustraire leurs fermiers à l’influence populaire, les tiennent en chartre privée, et sont forcés de soutenir un siège en règle ; des femmes que M. O’Connell arrose de ses larmes sur le grand chemin, parce qu’elles ont menacé leurs maris de s’enfuir avec leurs enfans, s’ils votaient contre le candidat catholique ; et partout où il y a élection contestée, des batailles rangées, non plus, comme en Angleterre, de misérables soudoyés à quelques shillings par jour, mais de deux peuples pleins de haine, de colère, de mépris l’un pour l’autre, de deux peuples entre lesquels, dans le passé comme dans le présent, il n’y a rien de commun : tel est, en ce moment, le spectacle que présente l’Irlande, non par suite d’une excitation passagère, mais sous l’empire de sentimens permanens et profonds.

En vain, pour adoucir ce tableau, dirait-on que l’Irlande, en donnant aux conservateurs 11 voix de plus, vient de prouver que depuis 1837 le protestantisme s’y est fortifié. C’est là une illusion qui, si les vainqueurs n’y prennent garde, peut leur être fatale. En Irlande, les vieilles corporations municipales existent encore, et la propriété foncière presque partout se trouve aux mains des protestans. Il faut donc un effort presque désespéré pour arracher les pauvres catholiques à l’influence oppressive qui pèse sur eux, et qui leur demande leurs votes presque sous peine de mort. Or, dans trois comtés et dans deux villes où, en 1837, les réformistes ne l’avaient emporté qu’à peu de voix, cet effort a été cette année moins puissant et moins heureux. Mais que doit-on en conclure ? Rien absolument, si ce n’est que l’exaspération du parti catholique va s’en accroître, et que, vaincu sur le terrain légal, il en sera d’autant plus disposé à chercher une revanche terrible sur un autre terrain.