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une large baie, au bord de laquelle ils trouvèrent du bois et des œufs d’oiseaux, ce qui fut pour eux un grand soulagement.

Il ne leur restait plus que bien peu de vivres ; déjà ils en étaient réduits à la plus petite ration : chacun d’eux ne recevait que quatre onces de pain par jour, et ils se demandaient s’il ne vaudrait pas mieux abandonner leurs bâtimens et s’en aller le long des côtes chercher quelque cabane de Samoïèdes, que de poursuivre ainsi à l’aventure une navigation dont ils n’entrevoyaient pas encore le terme. Au moment où ils allaient peut-être prendre un parti désespéré, ils rencontrèrent quelques pêcheurs russes qui leur donnèrent un pain de seigle et une centaine de poissons. Deux jours après, ils en rencontrèrent encore d’autres dont ils reçurent un nouveau secours. Ce qu’ils désiraient surtout, c’était d’obtenir quelque renseignement sur la côte où ils se trouvaient, sur la route à suivre pour arriver dans des parages habités ; mais il leur fut impossible de se faire comprendre.

Enfin, après plus de deux mois de fatigues inouies, de dangers sans nombre, ils arrivèrent à Kilduin et s’assirent avec joie autour d’un bon feu allumé par des Lapons. L’honnête famille nomade, qui partageait avec eux tout ce qu’elle avait de meilleur, leur fit entendre qu’il y avait à quelque vingtaine de lieues de là, à Kola, des navires étrangers. Un d’eux s’y rendit en toute hâte, guidé par un Lapon. Le Lapon revint seul, porteur d’une lettre adressée à Heemskerke et écrite en hollandais. C’était une lettre de Cornelisz, le comandant du navire qui était parti en même temps qu’eux du port de Ylie et qui les avait quittés au 76e degré de latitude. Cornelisz leur annonçait des secours, des vivres, une embarcation, et les Hollandais n’étaient pas encore revenus de l’espèce d’extase où les jeta cette nouvelle, qu’ils virent arriver sur une yole laponne leur compatriote avec de la bière, du vin, des vivres et des vêtemens. Ils se jetèrent en pleurant dans ses bras, puis on prépara sous une tente un festin de joie auquel furent invités les bons Lapons. Je laisse à penser quelle fête, que de récits touchans et de questions entre les pauvres malheureux arrachés miraculeusement à la mort et leurs compatriotes arrivés là tout exprès pour les sauver. Le lendemain, ils partirent pour Kola, et au mois de novembre ils rentraient avec le navire de Cornelisz dans leur chère Hollande où tout le monde les croyait morts depuis long-temps.

Si les trois expéditions de Barentz n’eurent pas le résultat qu’on