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ment, commandé par le capitaine Castricum et ancré à quelques lieues de là. Les pauvres naufragés se mirent en route pour rejoindre ce bâtiment, emportant avec eux quelques biscuits, des toiles à voile et autres ustensiles. Mais il fallait marcher sur des glaçons mobiles, et à chaque pas ils s’arrêtaient, ne sachant où poser le pied, et tremblant de chavirer avec le pont perfide sur lequel ils s’aventuraient. Vers le soir, accablés de lassitude, vaincus par le froid, ils s’arrêtèrent sur un bloc de glace plus large et plus ferme que les autres, élevèrent une tente avec leurs voiles, allumèrent du feu avec les débris de leur navire qu’ils rencontraient flottant çà et là, et les quelques heures de repos dont ils jouirent ranimèrent leurs forces.

Le lendemain ils continuèrent leur marche, toujours avec les mêmes périls et les mêmes difficultés. Mais ils voyaient de loin le navire qu’ils désiraient atteindre ; cette vue ravivait leur espoir et soutenait leur courage. Un petit pavillon de signal placé sur le mât de perroquet leur semblait d’un bon augure et augmentait encore leur confiance. Quelle fut leur douleur lorsqu’en arrivant auprès de ce bâtiment ils le trouvèrent dans un état de délabrement complet, ouvert de plusieurs côtés, et incapable de résister à un nouvel orage ! Cependant ils furent généreusement reçus à bord, et à peine y étaient-ils qu’ils furent suivis d’une cinquantaine d’hommes appartenant à l’équipage d’un navire de Hambourg qui venait de faire naufrage.

Ainsi entassés sur un bâtiment assez mal approvisionné, les malheureux ne tardèrent pas à épuiser les vivres que l’équipage de ce bâtiment partageait avec eux. Bientôt ils en furent réduits à chercher d’une dent avide ce qui restait de chair autour des fanons de baleines ; les chiens étaient réservés aux malades, et pour apaiser leur soif, on leur donnait de la neige fondue dans laquelle on avait fait infuser des copeaux.

Dans un tel état de souffrance, la vie était pire que la mort, et plus d’un de ces infortunés, tourmentés par la faim, par la soif, par le froid, étendait vers le ciel ses bras languissans et priait Dieu d’abréger ses douleurs.

Le 10 octobre, un vent violent chassa le navire vers la côte ; le lendemain, il fut écrasé et submergé ; les hommes qu’il renfermait se sauvèrent sur la glace sans vivres, sans ressources et presque nus. Cependant l’espérance que Dieu a mise au fond du cœur de l’homme comme un rayon de lumière pour l’éclairer dans ses nuits de douleur, comme un ressort puissant pour lui rendre la force dans ses heures d’abattement, l’espérance les soutenait encore. Ils se divi-