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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Écoutez plutôt ce plain-chant qu’il entonne dans le mode ambroisien à l’auteur de la Symphonie fantastique. Nous disions donc :

Voilà, voilà la voix du chasseur infernal,
Et la meute insensée, et le cercle fatal,
De Carle de Weber la bizarre harmonie,
Et le génie enfin assistant le génie.
Ainsi Virgile un jour, de sa savante main,
Conduisit le Toscan dans son âpre chemin.

Virgile, Dante, Marie de Weber ! beaucoup de bruit pour… M. Berlioz. À ce propos, nous remarquerons la liberté, quelque peu grande, dont M. Antoni Deschamps en use avec Dante et Virgile. Parce qu’il a traduit vingt chants de Dante, l’auteur des Dernières Paroles se croit tout permis, et le cygne de Mantoue aussi bien que l’aigle de Florence figurent dans son œuvre à l’état de comparses, toujours prêts à sortir de la coulisse au premier signal. S’agit-il de célébrer la gloire d’un poète manqué, Dante et Virgile ; de composer un cordial à l’usage du premier musicien sifflé qui se rencontre, Dante et Virgile ; M. Berlioz entraînant bon gré mal gré l’ombre immortelle de Weber à travers les corridors de l’Opéra, c’est Virgile conduisant Alighieri per luogo eterno, ni plus ni moins. Ah ! Monsieur Deschamps, grace pour Virgile, grace pour Dante ! On ne traite pas ainsi les royautés de la pensée. À l’avenir, tâchez d’invoquer d’autres héros à l’occasion des chefs-d’œuvre de M. Berlioz ; laissez dans leur élysée et dans leurs limbes le poète d’Énée et de Didon, le chantre immortel de Béatrice, et n’allez pas les déranger à tout moment pour si peu. Chez M. Émile Deschamps, une semblable énormité ne serait que peccadille. Avec lui, le madrigal ne tire point à conséquence, un de plus, un de moins, peu importe ; mais avec Antoni, comment se l’expliquer ? Après une aussi plaisante boutade, que voulez-vous qu’on pense de ces airs d’artiste sérieux que l’auteur des Dernières Paroles se donne à tout propos, de ce dilettantisme éclairé dont il se pique ? On ne trafique pas ainsi des plus grands noms ; les noms de Virgile, de Raphaël, de Pergolèze, de Mozart et de Weber ne sont pas une menue monnaie qu’on distribue à l’orgueil des passans. Une plaie de cette époque, la véritable lèpre qui nous ronge, avouons-le, c’est cette indifférence, non plus en matière de religion, mais en matière de poésie, de musique, en matière de tout, cette indifférence qui fait que nous encourageons, de guerre lasse, les médiocrités les plus vaines, les plus déplorables avortemens, et que pas un de nous n’a le front de dire à son voisin la nette vérité, comme