Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/606

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
602
REVUE DES DEUX MONDES.

chrétiens même leurs ablutions[1], renouvelèrent les désastres que l’Asie mineure avait soufferts lors de la première invasion des Perses. Loin de songer à imiter les Romains, qui comprenaient que la richesse des vaincus est la véritable mesure de la richesse des vainqueurs, ils procédèrent par le pillage, la tyrannie et les massacres. Tout sujet non musulman fut soumis à la capitation, et cette marque de servitude imprimée sur les peuples conquis, fut un obstacle infranchissable qui sépara à tout jamais les vaincus des vainqueurs. Après cinq siècles de possession, les Turcs sont aussi étrangers aux anciens maîtres de la contrée, que le jour où le sabre du sultan Mourad conquit la ville d’Ancyre.

Malgré tous ses malheurs, la ville moderne d’Angora est une des plus peuplée de l’Asie mineure. Elle doit la prospérité relative dont elle n’a cessé de jouir à son heureuse situation, à un climat admirablement sain, à un sol fertile, et surtout à ses innombrables troupeaux de chèvres, dont la toison, d’une beauté unique, suffirait pour enrichir une population double de celle de la province.

Le beau tissu connu sous le nom de chaly se fabriquait de temps immémorial dans le district d’Angora, dans le pays situé entre le fleuve Halys et le Sangarius. Autrefois, le commerce d’Angora exportait vingt-cinq mille pièces de chaly ; aujourd’hui, il en fabrique cinq mille, qui ont de la peine à se vendre. Cependant le chaly d’Angora a cet avantage sur celui d’Europe, qu’il est entièrement tissu de laine, tandis que les chaly d’Occident contiennent moitié soie. Les chèvres qui donnent ces beaux produits sont de petite taille ; elles sont généralement blanches, portent des cornes légèrement recourbées en arrière ; leurs toisons ont un éclat qu’on ne saurait comparer qu’à la plus belle soie. Les habitans regardent comme un fait démontré que leur exportation est tout-à-fait impossible, et que les troupeaux qui sont transportés à l’orient de l’Halys ou au couchant du Sangarius finissent par dégénérer, et leurs toisons par devenir aussi grossières que celles des autres chèvres. On pense non sans raison que la beauté des toisons des brebis et des chèvres de ces contrées tient à la quantité notable de sel qui entre dans leurs alimens : c’est au printemps seulement, lorsque les prairies sont vertes, que les bergers suppriment complètement l’usage du sel ; mais, pen-

  1. Voyez ce que dit Paul Silentiaire des ablutions des premiers chrétiens. Desc. de sainte Sophie. — Anonym. Const. XXIV.