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ou camelot qui servait pour faire les cafetans, les voiles d’été pour les femmes (ferétge) ne se fabrique plus au dixième de ce qui se produisait. La Perse n’en consomme plus ; les Anglais et les Russes ont eu l’adresse de s’ouvrir dans ce pays des débouchés qui ne redoutent pas la concurrence. Comment en effet des étoffes fabriquées par le moyen de machines à vapeur pourraient-elles craindre des tissus dont la fabrication n’a pas fait de progrès depuis Nausicaa ou Pénélope ? Les pachas ont du reste parfaitement favorisé l’industrie anglaise par les droits exorbitans dont ils ont frappé l’industrie nationale. Pour donner une idée de la folie de cette administration, il suffit de rappeler que les Francs, en vertu d’un article des capitulations impériales, ne doivent payer en Turquie que 3 p. 100 du prix de facture, tandis que les négocians nationaux, par les droits de douane, de timbre, de transit d’octroi, etc., paient jusqu’à 10 p. 100. Bien heureux encore quand le pacha n’exige pas en bakchich (présent) une pièce d’étoffe à sa convenance. Du reste, il faut dire, pour être juste, que les gouverneurs, dans les affaires commerciales, ne font pas de différence entre un musulman et un raya. L’un et l’autre paient également deux ou trois fois plus de droits que les décrets impériaux ne le comportent.

Voilà la véritable cause de la décadence épouvantable qui engloutit l’empire ottoman. Aucun établissement industriel ne pourrait se former sans être aussitôt grevé de toutes les charges qu’il plairait à un gouverneur avide de lui imposer. Aussi, dans toute l’Asie mineure, il n’y a pas une papeterie, pas une grande manufacture de soie ; on n’y fait point de drap, on n’y tanne point de cuirs ; tout cela est demandé au commerce extérieur, et les Francs ne trafiquent qu’en tremblant avec un pays qui végète au bord de l’abîme. Toutes les matières premières exportées pour être rapportées manufacturées, voilà l’état normal de la Turquie. L’industrie est dans le dernier état de marasme, non pas qu’elle fût jamais très brillante en Asie mineure : la rapacité des pachas empêcha toujours les grands établissemens de se former ; mais quelques villes, comme Alep et Brousse, concurremment avec Ancyre, fournissaient des étoffes de luxe ; Césarée fabriquait des cotonnades, et Malathia avait quelques familles qui se livraient à l’industrie de la teinture. Tout cela est complètement anéanti. Un peu de maroquin, des tuyaux de pipes, quelques tapis, voilà toute l’industrie de l’Asie mineure. En matières premières, le pays est riche, et fournirait, s’il était bien administré, à une consommation intérieure et à une exportation considérables.