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WILBERFORCE, ROMILLY ET DUDLEY.

qu’on ne le pense la tournure idiotique du langage paternel. La brève et oblique plaisanterie du chevalier Hamilton ne ressemble à rien de ce que notre langue si féconde en bonnes railleries peut offrir à l’observateur. C’est l’humour anglaise raffinée devenue élégante jusqu’à la recherche la plus délicate, et vous diriez une de ces sveltes beautés anglaises que Paris a dotées d’une grace plus que française, sans détruire l’empreinte fière et la transparence du sang saxon. La manière de Romilly est à la fois française et genevoise, sentimentale, épurée, exempte de longueurs et de redites, mieux ordonnée et mieux entendue dans sa disposition que la manière des écrivains britanniques ne l’est en général, jamais hasardée, jamais brutale, jamais emportée, mais aussi rarement pittoresque, hardie ou colorée. Il offre peu de ces expressions profondément teutoniques qui attaquent et sollicitent dans leur intimité toutes les fibres de la sensibilité anglaise, et qui font, pour les Anglais, de Byron, Southey ou Cobbett, les amis de la pensée et les frères du cœur. Tel notre Montaigne, le plus Français des écrivains, est encore pour nous un dictionnaire, un modèle, une étude, un plaisir. Vous approchez de lui sans réserve et sans terreur, avec une familiarité pour ainsi dire voluptueuse ; vous entendez de loin les sons d’une voix amie et gaie qui vous appelle.

L’histoire littéraire de la Grande-Bretagne contient, comme la nôtre, cinq ou six littératures diverses : la littérature anglo-saxonne pure, anglo-normande, anglo-italienne, anglo-française, et enfin britannique, c’est-à-dire mêlée de ces sources différentes avec prédominance de l’élément saxon ou teutonique. Cette dernière phase est incomparablement la plus belle ; elle comprend Chaucer, Shakspeare, Milton, Bacon, Byron, Scott, Fielding, Swift et De Foë. Romilly, écrivain agréable et pur, appartient à la sphère française qui se rattache à Pope et Adisson.


Il y a dans ces trois hommes et dans leur conduite une certaine nuance d’affaissement et d’énervement qui rend leur caractère plus touchant peut-être, mais qui les sépare des grands hommes. Ils rêvent, ils craignent et ils méditent. Celui d’entre eux que l’espérance religieuse soutient, a l’aile plus ferme ; il accomplit plus noblement et plus complètement sa course. Mais les deux autres, lancés dans l’action et l’acceptant avec une vaillance pleine de grace, finissent par y succomber, et ne laissent que de faibles et contestables résultats. Leur susceptibilité n’aboutit qu’à la critique partielle d’abus