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refusant à accepter ce rôle, l’Angleterre ne pouvait hésiter. Son intérêt lui conseillait de faire un exemple, et le triomphe de sa politique a été d’y intéresser trois puissances de l’Europe. Il se peut que cette alliance soit éphémère, mais le coup n’en est pas moins porté. Saint-Jean-d’Acre a encore une garnison anglaise qui chaque jour en améliore l’armement et les ouvrages de défense ; des colonels, des majors de l’armée d’invasion parcourent le pays, examinent les fortifications, révèlent les points stratégiques. C’est surtout vers le littoral arabique que se dirige le principal effort, et, aujourd’hui que Méhémet-Ali a évacué les villes saintes, on peut dire que les échelles maritimes situées entre Yambo et Moka n’ont réellement plus de maître. Une tentative violente sur ces ports, qui bordent le chemin de l’Inde, est donc à la fois indiquée par la politique et favorisée par la circonstance. Elle aura lieu, et, négligé par la France, dominé par l’ascendant anglais, Méhémet-Ali n’y opposera sans doute qu’une résistance inefficace.

Jusqu’ici les vues des Anglais semblent toutefois s’être concentrées sur le littoral arabique ; ils ont négligé la côte opposée, la côte abyssine. Sur ce point, par une exception assez rare, notre influence domine, notre nom passe avant le leur. Cela tient à divers voyages aventureux que depuis dix ans des Français y ont exécutés. Le gouverneur du Tigré, Oubi, semble avoir gardé d’eux et de leur nation une impression favorable, et, s’il est vrai que quinze jeunes Abyssiniens soient maintenant en route pour la France, on pourrait croire à la réalité et à la sincérité de ces dispositions. Les races qui habitent les plateaux élevés du Samen, de l’Amhara et du Tigré ont d’ailleurs plus d’un point d’affinité avec les races européennes, et leur caractère se rapproche surtout du nôtre. Le christianisme, tempéré par des coutumes bibliques, y règne depuis un temps immémorial. Les mœurs sont douces, faciles, le caractère grave et sûr. Oubi, qui commande à dix mille cavaliers et à vingt mille fantassins, se chargerait, dit-on, d’assurer la tranquillité de la côte, et de protéger les comptoirs européens qui pourraient s’y fonder. Il l’a offert, il tiendra parole. La plage est fiévreuse : mais quelques soins conjurent le danger, qui d’ailleurs n’existe plus à un mille dans les terres. Les mouillages abrités, les rades spacieuses, les havres naturels, abondent, surtout à l’ouverture de la mer Rouge. On pourrait s’y établir, créer un commerce avec l’intérieur, et attirer, par la perspective de débouchés certains, les caravanes qui sillonnent le milieu de l’Afrique. On tiendrait ainsi en respect la cupidité anglaise, et à l’occupation de l’un des