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VOYAGE DANS L’ABYSSINIE MÉRIDIONALE.

bouclier et la lance, armes obligées des naturels, voilà le luxe ordinaire de leurs chaumières. Le sultan lui-même n’est guère plus favorisé sous ce rapport que ses administrés, et la cabane qu’il loua à notre voyageur ne se distinguait point par l’élégance de son mobilier. Il est vrai qu’après avoir élevé ses prétentions jusqu’à trois cents talaris, il finit par réduire à huit le prix de son hospitalité. Sous un chef qui possède à ce point l’instinct du commerce, il est impossible que les sujets ne soient pas d’habiles brocanteurs.

Quelques formes tutélaires limitent le pouvoir de ce sultan ; quand il s’agit d’un cas grave, le village entier délibère, et la majorité fait loi. Toujourra s’attribue en outre une part de suzeraineté sur le royaume des Adels ; mais ce n’est là qu’une autorité nominale. Les Adels ou Danakiles forment une collection de tribus indépendantes les unes des autres, et qui n’ont de commun que le nom ! Chacune d’elles obéit à son ras, comme les Bédouins obéissent à leurs cheiks. Diverses analogies rapprochent ces nomades africains des nomades asiatiques. La loi du sang ou du talion se retrouve chez eux avec son caractère implacable. Ils ont aussi horreur de la vie sédentaire et promènent leurs tentes sur les divers points de ce désert, toujours à la recherche des eaux ou des pâturages. Du reste, ils sont plus avides que sanguinaires, plus fourbes que cruels.

Les environs de Toujourra semblent porter l’empreinte d’un grand bouleversement volcanique, surtout vers une gorge qui conduit à la montagne de Debenet. La plus grande partie des arbrisseaux qui parent cette gorge aride sont des gommifères très chétifs, dont le sommet se termine en éventail. On y rencontre aussi l’arbre empoisonneur, qui a reçu des indigènes le nom de soummi. Sa grosseur est celle de nos chênes d’Europe ; son écorce est raboteuse et rougeâtre, ses feuilles elliptiques ressemblent à celles du citronnier. Un animal qui broute ce feuillage, ce qui arrive quelquefois, meurt, dix minutes après, dans d’horribles convulsions. Cet arbre fournit aux Bédouins le poison de leurs flèches. Ils en pilent les racines, les font bouillir avec de l’eau, puis ils en tirent une sorte d’extrait. Quand la substance vénéneuse est bien préparée, elle doit décomposer le sang à vue d’œil et en changer la couleur. Les Bédouins trempent leurs flèches dans cette matière, et une seule immersion suffit pour les rendre mortelles.

Dans les premiers jours d’août, quelques orages ayant rempli les réservoirs du désert, M. Rochet put enfin quitter Toujourra et s’acheminer vers l’Abyssinie méridionale. Deux guides l’accompagnaient ; l’un était un Bédouin danakile, l’autre un musulman du littoral. À