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userait-il pas désormais librement avec son antique ennemie ? Que lui reste-t-il à craindre de cette puissance abolie et brisée ? Il l’admet à son foyer, l’installe, lui donne à partager ses festins et ses jeux, et pousse la familiarité jusqu’à danser avec elle.

On trouve dans un poème de Regenbogen une des plus anciennes représentations de cette idée, idée reproduite du reste sous mille formes différentes et dans des volumes sans nombre presque toujours ornés de gravures sur bois. Dans une de ces planches, on voit un prêtre qui gesticule en chaire ; et tandis que le vieillard prêche aux hommes le néant de l’existence, la Mort, joignant l’exemple à la morale, s’évertue de son mieux, et mène d’un pied hardi, sur les dalles du sanctuaire, sa danse accoutumée, sa danse universelle, qu’un prêtre ferme justement. Dans un autre livre, où figure une longue suite de vignettes, la Mort apparaît constamment avec un instrument de musique. Tantôt c’est la viole d’amour, tantôt la flûte ou la guitare. Elle donne des sérénades au clair de lune, cachée sous les tilleuls en fleur, et fascine la jeune dame qui saute à bas du lit à sa voix, et, tiède encore des moiteurs du sommeil, livre au froid de la nuit son épaule blanche qui frissonne ; ou, vaillant ménétrier, debout sur un tonneau, elle râcle avec frénésie, animant au plaisir fillettes et garçons, qui se laissent choir tout essoufflés dans la tombe. Que vous semble du virtuose ? Mais la plus complète de ces imaginations fantastiques, de ces œuvres macabres, est à coup sûr un poème en bas allemand, imprimé à Lubeck en 1496, et qui contient soixante-huit gravures. Tous ceux qui doivent prendre part à la danse s’efforcent de s’excuser ; la Mort, impassible, réfute leurs argumens en quelques mots auxquels pas un ne réplique. Le pape seul (prérogative suprême attachée au chef spirituel de l’humanité), le pape seul a le droit d’interpeller deux fois le squelette. Assemblée curieuse où la vie n’a pas manqué de se faire représenter par de nombreuses députations prises dans tous les points de l’activité sociale, conclave universel où se retrouve, du sommet à la base, l’édifice politique du moyen-âge, cette indissoluble hiérarchie qui se maintient même en présence de la Mort. Voici l’ordre dans lequel sont rangés les personnages de la scène : le Pape, l’Empereur, l’Impératrice, le Cardinal, le Roi, l’Archevêque, le Duc, l’Abbé, le Templier, le Moine, le Chevalier, le Chanoine, le Bourgmestre, le Médecin, le Gentilhomme, l’Ermite, l’Etudiant, le Bourgeois, le Marchand, la Nonne cloîtrée, l’Homme de justice, le Maître ouvrier, le Paysan, la Béguine, le Courtisan, la Vierge, l’Archer, et, comme toujours, la Nourrice avec son