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REVUE DES DEUX MONDES.

Car autrement, au fond du vert sentier,
Je crains qu’en te voyant la biche ne s’effare.

Ne peux-tu donc rester au sein de tes forêts,
Et laisser les moulins et les meuniers en paix ?
Que ferait le poisson dans la feuillée épaisse ?
Que cherche l’écureuil dans le cristal de l’eau ?
Reste, chasseur altier, dans ton bois, et me laisse
Seul avec mon moulin au bord de ce ruisseau.
— Mais si tu veux gagner à tout prix ma maîtresse,
Apprends, mon doux ami, d’où lui vient son tourment :
Les sangliers la nuit sortent de leur tanière,
Et viennent ravager son champ.
Allons, délivre-nous des sangliers, compère !

L’honnête garçon commence par railler. Hélas ! Il ne sait pas encore où cette rencontre le mènera, et bientôt son ironie et son persifflage vont se fondre en sanglots. La belle meunière ne sent rien de cette invincible répugnance que son naïf amoureux lui suppose ; bien au contraire, cet attirail de bruit et de victoire ne tarde pas à lui tourner la tête. L’odeur de la poudre l’enivre tout d’abord. Habituée aux mœurs douces et paisibles du vallon, à des jours limpides et monotones comme le ruisseau qui coule devant sa maisonnette, elle écoute de toutes ses oreilles ce tintamarre qui vient de la forêt et de la montagne, et prend pour un héros cet homme qui lui apparaît au milieu des hurrahs et des fanfares, au milieu des chiens qui aboient et des trompes qui sonnent l’hallali à plein gosier. Elle admire en cet homme hardi la force et le courage ; elle sent, à le contempler, des émotions profondes que n’a pu lui donner le garçon naïf et médiocre qui n’a su que la chérir. Elle aime ce front hautain, cet œil d’oiseau de proie, ce geste souverain qui commande à la multitude ; la barbe même ne lui déplaît pas trop, et bientôt l’altier chasseur remplace dans les bras de la belle meunière le pauvre amoureux dépossédé, qui se lamente, et soupire une dernière fois ses regrets, assis sur les myosotis du bord et laissant pendre ses pieds au fil de l’eau qui va l’ensevelir :

LE MEUNIER.

Quand un cœur sincère et fidèle
Périt de langueur et d’amour,
Tous les lis dans l’herbe nouvelle
Se fanent bientôt à l’entour.