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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

culture. Il y a des lieds pour les semailles, pour les préparations qu’on fait subir au lin, pour la quenouille et le rouet, pour les herbes qu’on fane ; il y en a surtout pour les moissons. Chaque genre de travail revendique sa poésie qui lui est propre, chaque anniversaire éveille une pensée nouvelle, un rhythme caractéristique, et l’idylle, sur son terrain, au milieu de cette activité féconde, l’idylle épanouit ses mille fleurs naïves, que tous respirent en plein vent. Puis viennent les galas somptueux, le tir, les danses du dimanche sous le tilleul de la paroisse, toutes ces récréations heureuses qui sont, après les solennités d’un mariage ou d’un baptême, les plus vives réjouissances de ces honnêtes paysans de l’Allemagne. Cette inquiétude qui se porte au dehors chez le chasseur et le pêcheur, qui travaille même le pauvre pâtre au milieu de ses troupeaux, cette inquiétude n’existe pas chez l’agriculteur ; elle a disparu dans le cercle incessamment varié d’une activité paisible, tellement qu’il peut à ses heures, et cela sans péril pour sa tranquillité, prendre, s’il lui plaît, sur son dos les filets ou la carabine, et se faire un délassement de ce qui, pour les autres, est une fièvre sans répit. Comme le pâtre, il élève aussi les animaux, mais dans un but moins immédiat, presque religieux, non pour leur chair ou leur toison, mais pour leur travail, qu’il règle et qu’il utilise.

N’oublions pas le vigneron et son industrie, poétique entre toutes. Le vigneron n’a rien de la pitié du laboureur, de ses mœurs graves et régulières. Son humeur vive et pétulante participe de la nature de la plante qu’il cultive. La grappe vermeille d’où jaillit l’écumante boisson qui nous procure l’ivresse, trouve en lui son digne personnage, tout comme l’épi doré où mûrit le froment a son représentant dans cet homme calme et robuste occupé à sa charrue. Le vigneron a du sang de faune et de satyre dans les veines. C’est qu’aussi jamais opulente récolte ne donna aux paysans du nord de l’Allemagne les émotions chaudes et palpitantes d’une belle vendange sur les bords du Rhin. Là des pampres touffus ombragent les collines, là des chœurs de jeunes gens et de sveltes jeunes filles courent par les sentiers, la coupe de Bacchus à la main, comme aux jours antiques. Tout n’est que bruit, rumeur, ivresse et confusion. Les hommes boivent, les filles vont et viennent, en attendant la nuit pour les feux d’artifice. Alors des bouquets de lumière s’épanouissent dans l’air et s’effeuillent sous la transparence des eaux, les guitares s’accordent, les poitrines débordent, les lèvres frémissent ; il faut chanter. Disons en passant que la plupart de ces lieds, issus du sentiment des ven-