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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

levant d’un signe de sa main toutes les masses instrumentales, et les autres génies, moins doués sans doute, moins puissans, moins universels, mais plus spéciaux à coup sûr, plus sympathiques, se contentent de prendre un motif à leur choix, qu’ils s’en vont retourner au soleil. Nous verrons le fantastique Bürger et le bourgeois Wilhelm Müller s’adjuger la partie du cor de chasse dans la symphonie ; en attendant, voici Novalis qui s’empare de l’homme des mines, dont il arrange et compose le poème, toujours à l’aide de la tradition où chacun puise selon ses goûts et sa mesure. Le personnage du mineur, type austère, religieux, profond, convenait admirablement à Novalis. Cette ame généreuse où l’idée de Dieu fermente et bout, cette ame ivre de naturalisme, devait s’éprendre d’une prédilection singulière pour la poésie des mines. Comment ce monde merveilleux et bizarre, avec ses cavernes d’or et de pierreries, ses labyrinthes inexplorés, ses gaz mystérieux, ses stalactites et ses superstitions, n’aurait-il point tenté une imagination si passionnée de mysticisme, et qui se plaît incessamment à combiner ensemble la poésie et la philosophie de la nature ? Du reste, tel est le mouvement unanime, spontané dont nous parlons, que toutes les idées du XVIe siècle renaissent dans leur forme et comme d’elles-mêmes. On dirait une riche prairie qu’une mare (la mare du temps) a réduite deux siècles en jachère, et qui retrouve un beau matin, sous quelque vif rayon du soleil, toute sa splendide végétation. L’identité éclate à un tel point, qu’on ne saurait la révoquer en doute. Le procédé même que nous employons de mettre vis-à-vis l’une de l’autre l’idée en germe et l’idée complémentaire venue à deux siècles de distance, cette manière de poésie comparée, suffirait pour constater le fait impérieusement. Si le lecteur l’a remarqué, nous avons presque toujours cité le XVIe siècle par le XVIIIe. Il y a des âges qui sont pour d’autres âges écoulés ce que le miroir des lacs est pour le firmament : toutes les étoiles s’y reflètent, et notre dilettantisme sceptique s’en va contempler doucement et sans fatigue les gloires tumultueuses du passé dans les calmes transparences du présent.

III.

Si, en général, la poésie allemande revendique comme un privilège national la liberté de la forme dans l’acception la plus vaste du mot, le lyrisme, poésie indépendante de sa nature, poésie de la douleur et de la joie, poésie du sentiment, qui se passe à merveille du