Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 27.djvu/949

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
945
MADEMOISELLE DE LA CHARNAYE.

lui fit entendre qu’il était impossible de trouver autre chose chez les bons camarades qui les avaient reçus.

— Mais comment se fait-il, reprit tout à coup le marquis, qu’entouré de nos paysans, je ne sache rien de ce qui se passe ? — Elle reprit que ces gens-là ne savaient rien eux-mêmes, et que, le théâtre de la guerre étant au-delà de la Loire, les communications étaient fort difficiles. — Où sommes-nous enfin ? — Elle répondit en balbutiant qu’elle l’ignorait elle-même. — Je ne sais comment nous vivons, ni ce que nous faisons, dit le marquis d’un ton sévère ; vous ne me cachez rien, je pense, mademoiselle de La Charnaye ?

Depuis long-temps les facultés du marquis s’étaient visiblement affaiblies ; l’âge, les infirmités, l’erreur où on le tenait, l’avaient mis vis-à-vis de Mlle de La Charnaye dans une dépendance puérile à laquelle sa fille s’était accoutumée : ce réveil menaçant la confondit. — On n’a pris aucune précaution, je suppose, et nous n’aurons plus de nouvelles de mon fils ! — Mlle de La Charnaye avait sur elle la dernière lettre supposée qu’elle avait écrite la veille du départ ; elle répliqua que Paulet lui avait remis des papiers. — Que ne les lisez-vous donc ? reprit brusquement le marquis. Elle jugea qu’il fallait encore faire cet effort, qui serait le dernier peut-être ; elle s’approcha d’une ouverture qui laissait pénétrer un rayon de lumière, et lut ceci d’une voix altérée : « … On a repris les hostilités depuis le 15 ; le moment a été jugé favorable à cause des divisions de la convention et des succès des alliés. L’Espagne a cessé les négociations, la guerre se rallume de toutes parts. »

— Dieu soit loué ! interrompit le marquis, point d’accomodement avec ces monstres.

« … Le corps d’armée des généraux Kléber et Marceau, battu à Laval, s’est reformé à Antrain. Nous marchons sur Granville. »

— Que diable vont-ils faire à Granville ? dit-il encore.

Mlle de la Charnaye avait disposé cette lettre d’après les rumeurs vagues qui couraient sur l’expédition d’outre-Loire. Elle reprit : « … Cette marche a été décidée sur l’assurance des secours de la flotte anglaise ; la reine d’ailleurs l’a approuvée en plein conseil. » À ce mot, Mlle de La Charnaye, qui venait d’apprendre le supplice de Marie-Antoinette, s’arrêta suffoquée et leva les yeux au ciel, demandant pardon à cette ombre auguste. — La reine ? dit le marquis. — J’y vois à peine, reprit Mlle de La Charnaye d’un ton ferme. « … La reine, au moment du départ, a passé dans nos rangs, son fils dans ses bras, et nous avons tous juré de mourir ou de la revoir sur son trône. » — Ah ! malheureux ! s’écria le marquis ; que ne puis-je mou-