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qui voudrait y chercher autre chose que de la science serait entièrement trompé dans son attente. On n’y est distrait par aucun de ces ornemens frivoles destinés d’ordinaire à cacher un fonds pauvre ou épuisé ; mais, à défaut de couleur locale et d’impressions pittoresques, on y trouve des faits, des observations neuves présentées avec ordre et méthode, une grande variété de documens utiles, et une érudition véritable, car elle est modeste. La partie politique de l’ouvrage est traitée avec une grande réserve, je dirai même qu’elle est presque nulle ; il faut que le lecteur réfléchisse long-temps pour saisir le véritable esprit des faits qui lui sont présentés, et pour en tirer des conséquences que l’auteur n’a nullement songé à faire ressortir. La Description des hordes et des steppes n’en est pas moins une publication fort utile qui jette un jour tout nouveau sur l’histoire d’un peuple curieux à observer. La Russie a tenu, à l’égard de cette nation, dont l’analogie avec les Bédouins de l’Algérie est frappante, une conduite d’une habileté remarquable. Aussi, tout en laissant de côté beaucoup de faits, beaucoup de détails sans intérêt pour nous, devrons-nous surtout nous attacher à suivre, d’après M. de Levchine, les progrès des agens russes dans les steppes voisines de l’Oural.

Par une anomalie bizarre, les habitans des steppes portent dans le monde scientifique et politique un nom qui n’est pas le leur et qu’ils repoussent comme une injure. Ils n’acceptent que celui de Kazaks ; c’est ainsi qu’on les trouve désignés dans les historiens persans et que les appellent les nations voisines de Boukhara et de Khiva. Le nom de Kirghiz appartient à une peuplade d’une origine bien distincte, qui, après avoir long-temps inquiété les marches de l’empire, a été refoulée dans la partie occidentale du Turkhestan, où elle est réduite à l’impuissance. Comme les Russes rencontrèrent d’abord ces barbares, et qu’ils ont trouvé dans le caractère et les mœurs des Kazaks de nombreux points de ressemblance avec leurs devanciers, ils ont fini par appliquer la même dénomination aux uns et aux autres, mais l’historien ne doit pas les confondre.

Les peuples, comme les individus, aiment à se créer une origine antique et mystérieuse. Fidèles à ces instincts de vanité si profondément enracinés dans le cœur de l’homme, les Kirghiz-Kazaks ont entouré leur berceau de fables plus ou moins ambitieuses et poétiques, que les vieillards transmettent avec orgueil aux jeunes guerriers de leur tribu, mais qui toutes ont une valeur historique trop légère et trop contestable pour être rapportée ici. Il suffit de dire