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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/1030

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pleine d’avantages pour l’Europe et pour la France. Rester libres sans être isolés, conserver de bons rapports avec l’Angleterre sans lui montrer un attachement exclusif, nouer des relations sur le continent sans y contracter des engagemens étroits, tel est le système que la prudence conseille depuis plusieurs années à notre pays, et que l’entente cordiale est venue si malheureusement ajourner.

Si jamais la France a pu reconnaître l’utilité d’un système d’alliance qui ne l’enchaînerait pas trop étroitement à l’Angleterre, c’est surtout depuis qu’il s’est agi du Maroc. Qu’a produit sur ce point l’entente cordiale ? Dès les premières hostilités, la crainte d’inquiéter le cabinet anglais a poussé M. Guizot à lui communiquer ses instructions et ses plans. Cette communication imprudente, devenue entre les mains du ministère anglais un engagement formel, a entravé, dès le début, les opérations de la guerre. Elle a amené des hésitations et des lenteurs ; elle a donné des forces à nos ennemis. Sans la vigueur du prince de Joinville et du maréchal Bugeaud, qui ont saisi le moment d’agir et ont interprété leurs instructions dans un sens large, le sort de la guerre eût pu être compromis. Encore, jusqu’ici, nos succès ont été stériles. Les brillans faits d’armes du prince de Joinville ont amené l’occupation d’une langue de terre où nos soldats remplissent la mission la plus pénible. Ils ont devant eux les ruines de la ville qu’ils ont détruite ; ils ne peuvent s’y abriter : les instructions le défendent. Quant au maréchal, après sa, belle victoire, il s’est replié. Le petit nombre de ses troupes, les difficultés de la saison, les ordres qu’il a reçus, ne lui ont pas permis de profiter de son triomphe pour aller répandre la terreur sur le territoire de Fez. Aujourd’hui, M. le duc de Glucksberg et M. de Nyon, revêtus de pleins pouvoirs, sont devant Tanger, et présentent à l’empereur de Maroc les conditions de la France. Ces conditions sont exactement les mêmes que celles qui ont été offertes avant le bombardement de Tanger et de Mogador, avant la bataille d’Isly, et l’on admire la noblesse de ce désintéressement ! Ne serait-il pas plus juste de reconnaître qu’il est forcé, et que nous subissons encore ici la loi que nous imposent les engagemens contractés par M. Guizot vis-à-vis de l’Angleterre ? D’ailleurs, si cette résolution du ministère est libre, elle n’est pas plus excusable à nos yeux. Quoi ! l’empereur du Maroc nous aura fait depuis trois mois une guerre injuste et barbare, nous aurons éprouvé des pertes sensibles, la diversion de nos forces aura pu nous faire courir des dangers graves en Algérie et ailleurs, nous aurons dépensé des sommes immenses, et nous ne réclamons pas même les frais de la guerre ! Que la presse ministérielle nomme cela du désintéressement : l’Angleterre dira que nous faisons mi métier de dupes, et l’empereur de Maroc se rira de nous. Au lieu de croire à notre modération, il ne croira qu’à notre faiblesse.

Qu’arrivera-t-il cependant si l’empereur Abderrahman refuse les conditions qui lui sont posées, ou bien, ce qui serait la même chose pour nous, s’il ne peut les remplir après les avoir acceptées ? Le ministère paraît décidé, dans l’un et l’autre cas, à agir énergiquement. On nous déclare en son nom que, si la France n’obtient pas satisfaction, elle se fera justice à elle-