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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/359

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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

compteront pour quelque chose le progrès, ou plutôt, si je puis m’exprimer ainsi, la santé de l’esprit humain. » Et il continue d’expliquer parfaitement la réforme proposée, et dont quelques portions ont prévalu, m’assure-t-on, dans l’abécédaire d’aujourd’hui. Il paraît qu’on apprend mieux à lire aux enfans qu’autrefois. Mais n’était-ce pas, je le demande, s’exagérer fabuleusement l’influence des méthodes ? N’était-ce pas recommencer à la lettre un symbole de foi en même temps qu’on rejetait tous les autres avec horreur ? Qu’on y voie du moins combien Daunou était radicalement de son siècle, et sous ses airs timides, aussi rénovateur que Condorcet.

Ceux qui ne l’ont vu et connu que comme académicien des Inscriptions et dans ses travaux littéraires des dernières années ont pu goûter ses meilleurs fruits et les mieux élaborés à notre usage, mais l’arbre tout entier, le tronc, les racines sont là-bas.

Dans les premiers jours d’octobre 93, décrété d’arrestation avec les soixante-treize députés signataires de la protestation contre les évènemens des 31 mai et 2 juin, Daunou entrait dans les cachots pour n’en sortir qu’en octobre 94, après un an révolu. Transféré successivement dans diverses maisons, et finalement à Port-Royal de Paris, qu’on appelait Port-Libre, il supporta cette terrible année avec la constance du sage, prompt à ressaisir des heures pour l’étude, et comme s’il n’avait fait presque que retrouver un cloître plus étroit. Ses compagnons de captivité en ont tous parlé en ces termes. Il lisait Tacite seul, il relut tout Juvénal avec Dusaulx, aux momens où celui-ci (grand joueur et qui avait écrit contre la passion du jeu) ne jouait pas au bouchon avec le marquis de… Mercier, autre incorrigible, ancien adversaire de Daunou sur Boileau, maintenant son compagnon d’infortune, ne le faisait plus que sourire. L’égalité d’ame était complète. Il profita de ce loisir pour étudier les élémens de géométrie avec suite ; il composa même alors une grammaire générale qu’il écrivit sur des cartes. Cependant le 9 thermidor avait sonné, et la prison ne se rouvrait pas ; les douze représentans du peuple détenus à Port-Libre adressèrent à la Convention une réclamation énergique que Daunou rédigea ; il y a de l’éloquence : « Si l’anarchie et la tyrannie ont rassemblé dans le cercle étroit d’une année plus de forfaits et de désastres que l’histoire des calamités du genre humain n’en avait dispersé jusqu’ici dans l’espace de plusieurs siècles ; si nous avons prévu et cherché à prévenir les malheurs du peuple dont nous sommes les représentans, pourquoi et de quel droit nous retient-on dans les fers ? » Et arrivant à l’accusation de fédéralisme, dont ils sont victimes, celui qui