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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/362

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REVUE DES DEUX MONDES.

de ses écrits, nous croyons qu’ils n’ont mérité ni les adulations que leur prodiguait Desmoulins, ni tout le mépris dont Courtois s’est efforcé de les couvrir. L’art d’écrire est peut-être celui dont Robespierre eût le plus approché s’il l’eût cultivé davantage ; c’est le seul où il ait paru faire quelque progrès. L’on ne peut nier, à ce qu’il nous semble, qu’il n’ait quelquefois donné aux idées d’autrui des formes tout-à-fait tolérables, et que dans ses derniers discours, par exemple dans celui sur l’Être suprême, on ne rencontre du moins, au milieu de beaucoup d’inepties, certains traits, peut-être même certaines pages qui ne sont pas très loin du talent. Courtois a cité en preuve de la médiocrité de Robespierre les corrections nombreuses, les ratures multipliées dont il surchargeait ses manuscrits : cette preuve, nous devons l’avouer, nous a paru bien étrange ; nous aurions pensé, au contraire, que Robespierre ne savait point assez effacer. »

Remarquez la tendance naturelle de Daunou, et cette appréciation littéraire finale qui est là comme pour mettre le sceau. L’écrivain en Robespierre avait fini pourtant par le fléchir un peu[1]. On a d’autres pages de lui sur les souvenirs de ces temps, les deux premiers chapitres d’une histoire de la Convention ; il est profondément regrettable qu’il ne l’ait pas menée à fin. Cette histoire-là est au moins à mettre sur la même ligne que celles de l’Oratoire ou de Boulogne-sur-Mer, qu’il regrettait de n’avoir pas retracées. On ne conçoit pas qu’un homme aussi laborieux que Daunou, et qui savait si bien que le style seul fait vivre, n’ait pas exécuté un tel projet une fois entrepris ; mais, sans parler du découragement qui s’empara de lui à un certain jour,

  1. Et qu’on me permette d’ajouter encore le jugement qu’il porte de Saint-Just ; il est de ces choses qui, une fois dites, ne se retrouvent pas, et l’article de Daunou d’ailleurs serait matériellement introuvable : « Courtois a tracé ensuite les portraits de Saint-Just et de Couthon ; le premier, froidement cruel, homicide par caractère, n’avait pas eu besoin (comme Robespierre) d’être humilié pour être méchant. Il y a une disposition sentimentale qui nous fait compâtir aux infortunes des autres hommes et nous empêche au moins de leur nuire sans intérêt pour nous-mêmes ; cette disposition n’existait point dans Saint-Just ; cette fibre était déjà paralysée chez lui à vingt-six ans. On ne trouve dans ses écrits aucune trace de sensibilité ; ils en sont plus dépourvus encore que ceux même de Robespierre, auxquels ils sont très supérieurs sous les autres rapports ; car, si l’on veut être sincère, il faut avouer aussi que Saint-Just n’était point sans talens, et qu’il apercevait quelquefois, avec une précision assez forte, sinon l’ensemble de l’organisation sociale, du moins quelques-unes des relations qui existent entre les élémens dont elle se compose. Pour Couthon, il mérita tous les mépris : il est indigne de tout souvenir… »