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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/373

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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

et tout cela, pour servir ses propres opinions, à ce qu’il croit, et pour satisfaire ses profondes rancunes. Qu’on retourne le fait comme on le voudra, qu’on le discute au point de vue de la justice stricte, sinon de l’élévation et de la grandeur, cela n’est pas bien. Daunou, cette fois, dut en vouloir à Bonaparte doublement, à cause de cette faiblesse que le maître lui avait arrachée.

Habile à trouver la fibre secrète de chacun pour la faire jouer à son gré et l’adapter à ses fins, Napoléon avait été long à découvrir celle de Daunou, mais, pour le coup, il la tenait : il y avait quelque chose de plus avant que le républicain chez l’homme de l’an iii, c’était le philosophe ; il y avait quelqu’un qu’il jugeait plus funeste encore que l’empereur, c’était le pontife. On le fit instrument et rouage par ce côté.

Infirmité de l’humaine nature ! Tel est l’empire des préventions et des haines invétérées, peut-être seulement des fausses positions et des faux plis, chez les meilleurs, chez les plus sages ! Daunou lui-même, tout en se piquant de modérer sa plume, ne sut pas triompher de l’inspiration : le vieux levain remonta. Lui, si humain pour les opprimés, il fut sans pitié ce jour-là, il ne vit que l’intérêt philosophique en jeu, et se remit en posture de gallican pour mieux frapper. — Un plus mémorable épisode de sa vie littéraire sous l’Empire est son amitié intime avec Chénier[1]. En 1807, Daunou, qui avait quelques

    accoutumée à n’en point laisser au progrès de la civilisation, au développement des lumières, à la gloire d’un grand empire. Abolir le pouvoir terrestre des pontifes est l’un des plus vastes bienfaits que l’Europe puisse devoir à un héros. La destinée d’un nouveau fondateur de l’empire d’Occident est de réparer les erreurs de Charlemagne, de le surpasser en sagesse, et par conséquent en puissance ; de gouverner, de raffermir les états que Charles n’a su que conquérir et dominer ; d’éterniser enfin la gloire d’un auguste règne, en garantissant, par des institutions énergiques, la prospérité des règnes futurs. » Dira-t-on que ces mots : ont besoin, puisse devoir, ne sont pas positifs ; que la destinée assignée ici au héros est une sorte de futur conditionnel ; qu’il est question, chemin faisant, de sagesse, de gouverner, de garantir, et même, en finissant, d’institutions énergiques, comme pour faire contrepoids à la spoliation qu’on appuie ? Pénibles équivoques auxquels l’auteur a bien pu penser, mais qui échappaient au lecteur : Napoléon n’en demandait pas davantage. — Ce livre, au reste, était tellement une arme politique forgée ad hoc, que la troisième édition, imprimée à l’Imprimerie impériale en 1811, fut en très grande partie détruite en 1813, au moment où l’on crut enfin avoir arraché un nouveau Concordat au prisonnier de Fontainebleau. Cette édition de 1811 contenait, entre autres additions, un exposé de la conduite de la Cour de Rome depuis 1800, vrai factum d’un canoniste de l’Empire.

  1. M. Labitte, en cette Revue (15 janvier 1844), nous en a déjà raconté avec intérêt plus d’un détail.