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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/478

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REVUE DES DEUX MONDES.

le prince de Galles allait le regarder s’habiller, et s’instruire à cette école de l’élégance et du bon goût. On sait que le prince était le plus magnifique gentleman de son temps ; quand il mourut, la vente de sa garde-robe produisit à elle seule 15,000 liv. ou 375,000 francs. Lord Chesterfield paya 5,500 francs un manteau qui en avait coûté 20,000.

Brummell, en outre, réunissait toutes les qualités qui rendent un homme aimable dans le monde. Il dessinait passablement, faisait un peu de musique et des vers, et il dansait en perfection. Il avait de plus une ressource précieuse dans son inépuisable bonne humeur, qui faisait de lui un très gai compagnon. Aussi était-il toujours le bien-venu dans la société la plus élégante et la plus exclusive, à Brighton, chez le prince de Galles ; à Belvoir, chez le duc de Rutland ; à Woburn, chez le duc de Bedford ; à Chatsworth, chez le duc de Devonshire. Il n’était pas grand sportsman, n’aimant pas sans doute à déranger sa cravate, mais il était un très convenable rider. Ses chevaux étaient toujours aussi bien tenus que leur maître. Cette partie de sa maison était entièrement abandonnée à la discrétion de son groom, qui achetait, vendait et changeait ses chevaux sans même le consulter. Brummell ne s’en occupait pas, pourvu qu’il fût toujours bien monté.

Brummell a déjà servi de type à plusieurs personnages de roman. M. Edward Bulwer lui a fait beaucoup d’emprunts pour son Pelham. Le personnage de Trebeck, dans Granby, était celui que Brummell considérait lui-même comme le moins chargé. C’est dans ce roman qu’il est dit de lui et de sa manière de ridiculiser les gens : « Un gardien de ménagerie n’aurait pas mieux montré un singe qu’il ne montrait les originaux. Il avait l’art de faire poser le malheureux objet de son expérience de manière à faire briller ses absurdités, tout en paraissant le flatter de la façon la plus aimable. » Brummell, en effet, entendait admirablement bien l’impertinence ; il excellait dans le sarcasme à froid. Son biographe a recueilli une foule de traits qui donnent une idée assez originale de son caractère. Deux dames dont les noms avaient une certaine ressemblance, une Mme Thompson et une Mme Johnson, donnaient l’une et l’autre un bal le même jour. Le prince de Galles avait annoncé l’intention de paraître au bal de Mme Thompson, et comme c’était peu de temps après la rupture du prince avec Brummell, celui-ci avait naturellement été exclus de la liste des invités. Voici que le soir, au moment où Mme Thompson attendait à sa porte son royal hôte, entourée d’un cercle nombreux, elle voit soudainement apparaître Brummell, armé de son plus aimable sourire. Comprimant difficilement sa colère, elle lui donne à entendre