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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/538

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REVUE DES DEUX MONDES.

« Thou in sunny solitudes,
« Rover of the underwoods,
« The green silence dost displace
« With thy mellow breezy bass !

Nous ne nous amuserons pas à détruire, en traduisant ces jolis vers, une combinaison rare et délicate de la musique, de la forme, de la couleur et de la philosophie.

Mais ce sont là des exemples peu communs, des exceptions plutôt que des règles. Plus varié que Cullen Bryant, et voué à la poésie, dont Emerson ne semble faire qu’un délassement passager, Henri Wadsworth Longfellow, aujourd’hui professeur de littératures française et espagnole au collége de Haward, a été élevé en Europe et a voyagé en Suède et en Danemark. Le génie scandinave moderne paraît avoir exercé sur sa pensée l’influence la plus active. Une sévère beauté intellectuelle, une douceur particulière d’expression et de rhythme, distinguent ses vers, en assez petit nombre, mais remarquables, et spécialement le volume intitulé Voix de la Nuit. C’est une poésie pâle et « clair de lune, » comme disent les Américains eux-mêmes, qui attire par une triste et douce grandeur. L’effet en est étrange, et les couleurs en sont si transparentes, que le roman sentimental en réclamerait volontiers le mérite au détriment de la poésie. Ces œuvres sont d’ailleurs fort supérieures au flot commun des poésies tièdes dont le Parnasse anglais est inondé, par exemple à l’Ecclesia d’un moderne ministre. Le caractère du talent de Longfellow a l’air d’appartenir à une région plus froide et plus douce que l’Amérique. Peu de passion et un grand calme qui approche de la majesté, une sensibilité émue dans la profondeur, se manifestent par des vibrations et des rhythmes modérés ; les poésies suédoises de Tegner donneraient seules une idée de cette mélodie lente et de cette émotion réfléchie. Longfellow nous semble occuper la première place parmi les poètes de son pays. Une saveur distincte le caractérise ; on croit sentir, en le lisant, la permanence triste des grands bruits et des grandes ombres dans ces plaines qui n’ont pas de fin et dans ces bois qui n’ont pas d’histoire.

La littérature américaine proprement dite n’a pas acquis plus de force, de nouveauté et de couleur que par le passé. Le roman vulgaire y surabonde ; c’est surtout pour la caricature outrée que les Américains de l’Union montrent du talent ; je croirais volontiers que le premier homme de génie auquel ce peuple donnera naissance sera quelque grand satirique. Les nations, à la fois jeunes et vieilles, qui,