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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/580

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REVUE DES DEUX MONDES.

bitent. Dans le nombre et au premier rang figurent les problèmes qui se rattachent au travail et à la condition des classes laborieuses. Notre époque assiste à des crises qui, pour avoir été exagérées, n’en sont pas moins profondes et réelles. Diverses causes y ont contribué. La principale est la transformation complète du régime industriel, sous l’influence des diverses applications de la vapeur, et la substitution, aujourd’hui générale, du travail mécanique au travail à la main.

Dans l’origine, cette révolution, due à un agent nouveau, se signala par de tels bienfaits, revêtit un tel caractère de grandeur, qu’on n’aperçut pas ce qu’elle renfermait en germe de dissolvans et de misères. Des industries isolées étaient frappées de mort ; mais les industries agglomérées comblaient largement ces vides, et attiraient dans de grands centres d’activité d’innombrables légions de travailleurs. L’Angleterre offrit surtout ce spectacle : l’industrie y improvisa des villes aussi populeuses que des capitales. Tout marcha d’abord à souhait : les salaires étaient élevés ; les bénéfices importans ; le chiffre des commandes s’élevait chaque jour, et le travail surexcité se maintenait au même niveau. Tant que dura cette période d’activité, il n’y eut pas, il ne pouvait pas y avoir de souffrances. L’aisance régnait chez les ouvriers, et avec l’aisance les bras humains suffisent au plus rude service. La fortune restait fidèle aux entrepreneurs, et dans les jours de prospérité, on n’abuse pas des forces de l’homme. Ce fut l’âge d’or de l’industrie et aussi celui du monopole de l’Angleterre. On eut le tort, de l’autre côté du détroit, de croire ce monopole éternel, de prendre cette fièvre pour un état régulier et d’y engager, non-seulement le bien-être, mais encore la vie des populations. L’expiation ne se fit pas attendre. Sous l’influence d’une longue paix, chacun des grands états, en Europe et en Amérique, sentit son activité se réveiller. L’industrie venait de faire brillamment ses preuves : partout on voulait la naturaliser chez soi. En Allemagne, aux États-Unis, en Hollande, en France, on apprit à se passer de l’Angleterre, et chaque jour un marché nouveau se fermait devant les produits de ses manufactures. Cette résistance passive suffit pour amener une réaction fatale. Chaque débouché qu’on perdait au dehors provoquait une crise, soit générale, soit partielle, au sein des foyers manufacturiers de la Grande-Bretagne. De là tantôt un chômage, tantôt une diminution de salaire, c’est-à-dire le dénuement et la faim au foyer de l’ouvrier.

Ces misères ont été décrites plus d’une fois, décrites avec talent, avec sentiment, même avec un peu d’imagination. Peut-être aurait-on dû insister davantage sur les causes, soit anciennes, soit nouvelles, qui