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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/597

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LA POÉSIE PHILOSOPHIQUE EN ALLEMAGNE.

tout ce qui intéressait le dogme, sa plume était sans reproche. En effet M. de Sallet est vite ramené à ses interprétations favorites ; pas un chapitre des Évangiles n’est oublié ; les paraboles deviennent, l’une après l’autre, autant de symboles métaphysiques. Voici l’enfant prodigue, les ouvriers qui travaillent à la vigne, les vierges folles et les vierges sages. Subtilités, recherches bizarres, commentaires alexandrins, toutes les ruses de l’esprit sont mises en œuvre, et bien évidemment le Christ est venu sur la terre pour enseigner le panthéisme. Quand il monte sur le Thabor, que signifie cette transfiguration lumineuse ? Pourquoi ces trois disciples seulement qui l’accompagnent ? Le sens est bien clair pour qui connaît la métaphysique nouvelle. Tout cela veut dire que l’homme est une même chose avec Dieu ; mais cette unité nous est cachée par la grossièreté de notre intelligence, par la tyrannie des sens et des préjugés ; si elle nous est révélée, c’est en de courts instans, en une rapide illumination, et devant deux ou trois témoins au plus ; au pied du Thabor, la foule intelligente n’en sait rien, elle ne peut monter jusqu’aux cimes de la métaphysique hégélienne. Écoutez le Christ quand il célèbre la pâque, écoutez-le quand il flétrit les pharisiens et les docteurs de la loi ; suivez-le au jardin des Olives, au Calvaire, et voyez-le sortir du tombeau : c’est toujours Hegel, toujours sa doctrine, et la plus grande hardiesse du livre est, en effet, dans cette persistance d’une contrefaçon régulière, dans ce plagiat systématique et ouvertement proclamé.

La candeur naïve, la foi profonde qu’on ne saurait refuser à M. de Sallet, ne suffit pas cependant pour l’absoudre. On a remarqué déjà que parmi les gnostiques plus d’un avait mêlé à ses rêveries une singulière et touchante tristesse : M. de Sallet est un gnostique, comme ceux qui furent combattus par saint Clément et saint Irénée. Cet audacieux emprunt des formes sacrées ne saurait être excusé ni par le chrétien ni par le philosophe. En reconnaissant même que le ton sérieux et convaincu de l’auteur écarte tout reproche d’impiété, toute occasion de scandale, le plus simple bon goût réprouve ces mélanges impossibles. Je sais bien que le christianisme, dans les premiers siècles, s’était souvent approprié des traditions étrangères, des formes païennes ; que de différences cependant ! Des temples pouvaient se changer en églises, des cérémonies antiques pouvaient être adoptées par la liturgie et le culte nouveau, mais je ne vois pas qu’aucun docteur, en prêchant la religion de Jésus, ait rien conservé des dogmes ou des légendes du polythéisme. C’est ce mensonge qui est inacceptable chez M. de Sallet. Entre le christianisme et les enseignemens de