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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/624

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marquis ; il n’a garde pourtant de se plaindre, car il voit clairement par quelle pente rapide il allait tout droit à sa complète ruine ; et à un autre malheur plus grave encore, dont un Espagnol, si ridicule d’ailleurs qu’on le suppose, ne se peut jamais consoler.

Un Año despues de la boda et Doña Blanca de Borbon ferment la série des compositions classiques de M. Gil y Zárate. Ici commence la seconde phase de sa vie littéraire ; il est assez curieux de voir comment, du soir au lendemain, il s’est lancé en plein romantisme, bien au-delà du Roi s’amuse et de Richard Darlington. Considéré à bon droit comme un des chefs de l’école ancienne, M. Gil y Zárate essuyait naturellement les plus rudes attaques, au moment où se représentait Doña Blanca de Borbon, de la part des jeunes adeptes de l’école nouvelle. Les querelles des classiques et des romantiques avaient contracté brusquement une vivacité extrême : c’était le moindre argument des adversaires de M. Gil y Zárate de prétendre que, malgré les ressources de son esprit et de son style, il lui serait radicalement impossible de quitter la voie étroite et routinière où il se trouvait engagé. Pour imposer silence à toutes ces clameurs, M. Gil y Zárate n’imagina qu’un moyen, mais, en vérité, le plus sûr : ce fut de répondre par un vrai drame romantique, Don Carlos el Hechizado (Charles II, l’ensorcelé), qui en Espagne est demeuré le modèle du genre.

Cette pièce a soulevé dans les journaux de la Péninsule, et de temps à autre encore y soulève des polémiques violentes. Le sujet offre tant d’invraisemblances bizarres et de données inadmissibles, qu’il est impossible de comprendre qu’un homme aussi loyal, aussi modéré que M. Gil y Zárate ait eu seulement l’idée de le traiter à la scène. Dans aucune autre pièce du reste, nous devons le reconnaître, M. Gil y Zárate n’a aussi énergiquement engagé, compliqué, tranché l’action dramatique ; dans aucune autre, il n’a aussi habilement déployé les richesses de son style capricieux et savant ; de l’un à l’autre bout, le vers y est profond et rapide comme les desseins et les vengeances de cette inquisition formidable dont M. Gil y Zárate a d’une si originale façon décrit les sombres magnificences. La représentation de Don Carlos el Hechizado a été en Espagne un véritable évènement. Pour la première fois les passions politiques faisaient irruption à la scène ; et quelles passions, bon Dieu ! celles qui, à Madrid, à Murcie, à Barcelone, ont répandu comme l’eau le sang des moines sur le seuil de marbre de leurs couvens. M. Gil y Zárate appartient cependant au parti modéré ; c’est un de ses publicistes les plus dévoués et les plus anciens. Il y a