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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/882

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tant de bienveillance. Don José Muerta n’avait aucune des prétentions, aucun des vices de ses compatriotes ; c’est un des hommes qui m’ont inspiré le plus de sympathies durant mon séjour au Brésil.

Le cours du Jequitinonha n’offre rien de remarquable. Les bords, généralement boisés, sont assez plats. Ce n’est qu’à quelque distance du fleuve que commencent les montagnes, qui tantôt courent parallèlement, tantôt viennent se rapprocher de son lit, ou se retirent à de grandes distances. Çà et là se présentent des rapides qu’on regarde comme dangereux ; mais les eaux du fleuve étant hautes, ces rapides n’offrent aucune difficulté. Parfois sur les rives on aperçoit quelques champs de riz et de maïs ; les habitations sont cachées par d’épais ombrages, et vous ne découvrez pas même une cabane. Des arbres entiers sont entraînés par les eaux ; résistant au courant, ils forment avec les rochers épars dans le lit du fleuve des obstacles dangereux pour la navigation. Les bords du Jequitinonha sont ravagés par de nombreux insectes ; des moustiques tourbillonnent dans l’air, qui est souvent obscurci par des bandes de fourmis ailées. Un bruit extraordinaire signale le passage de ces nuées menaçantes. Tous les arbres placés sur leur route sont dépouillés en peu d’instans ; les habitans ne se préservent du fléau qu’en ménageant autour de leurs résidences un vaste espace inculte. Ces fourmis, qui se multiplient à l’infini, détruisent souvent toute une récolte.

Avant d’arriver au Salto, on traverse quelques-uns des rapides les plus dangereux du fleuve. Mes canotiers ne se décidèrent pas sans peine à franchir de nuit la chute appelée Panellia cachoiera. Malgré l’obscurité, je ne courus aucun danger sérieux. J’arrivai enfin à la Cachoiera del Inferno ; les rapides se prolongent sur un espace de près de 500 mètres. Les rochers interceptent en plusieurs endroits le cours du fleuve ; on risque à chaque instant de s’y briser, car le courant est très rapide, et il est difficile de manœuvrer les longs canots du Brésil. La chute de la Cachoiera est de trois à quatre pieds d’élévation sur une largeur de trente à quarante. La secousse que reçoit le canot est tellement forte, qu’il se remplit d’eau. Les moyens restreints dont dispose le Brésil ne permettent pas au gouvernement d’entreprendre les travaux nécessaires pour rendre ce passage praticable en tout temps. Cependant le danger que présentent les cataractes du Nil à Assouan est loin d’égaler celui qui vous menace à la chute de la Cachoiera del Inferno.

Deux heures plus tard, j’arrivais à Salto-Grande. Je comptai de Tocayos à cette ville environ soixante-douze lieues de navigation. Les