Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/885

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une résignation admirable. Aussitôt qu’une maison semblait près d’être atteinte par le fleuve débordé, toute la famille se mettait à la démolir ; la grande légèreté de ces constructions rendait le travail facile, et le courant n’entraînait que des matériaux de rebut. Enfin le temps redevint assez favorable pour me permettre de reprendre mon voyage. Je m’embarquai sur le Rio-Patype, car le capitaine de mon canot craignait d’affronter la barre du Rio-Pardo. Nous approchions de la mer ; l’équipage se préparait avec hésitation à y entrer. Ce fut à force de cris, de tumulte, d’invocations à tous les saints du paradis, que mon capitaine prit du courage : il lança hardiment sa barque dans la barre, la brise nous souleva, nous étions en mer, et j’avoue que je m’en félicitai autant que mes pauvres matelots, qui croyaient avoir fait preuve d’une grande bravoure. Bientôt, en dépit de l’inexpérience et des lenteurs de l’équipage, je pus saluer la baie de Bahia, un des plus magnifiques panoramas du Brésil.


III. — BAHIA. – LES NOIRS AU BRESIL. — FERNAMBOUC.

L’histoire du premier établissement portugais dans la baie de Bahia est toute romanesque. En 1516, un navire part de Lisbonne pour les Indes orientales, fait naufrage sur des bas-fonds, au nord de la baie ; l’équipage peut à peine se sauver. Descendus à terre, les Portugais sont saisis et massacrés par des anthropophages. Un seul, Alvarez Correo, parvient à éviter le triste sort de ses compagnons ; les armes à feu qu’il a conservées inspirent aux Indiens une sainte terreur, les sauvages s’inclinent devant lui avec respect, ils l’appellent Caramourou (homme de feu). Intelligent et brave, Alvarez sait mériter la confiance de ces barbares, il marche à leur tête contre une peuplade ennemie, obtient la victoire, et reçoit pour récompense, avec la main de la fille d’un chef, l’honneur du commandement suprême. Bientôt, dégoûté de la vie sauvage, l’intrépide Portugais s’embarque sur un bâtiment français venu pour chercher sur la côte du Brésil le précieux bois de teinture. Accueilli en France par Henri II, ainsi que sa jeune femme, qui adopte la religion chrétienne, Alvarez retourne de nouveau vers sa tribu, après s’être engagé à établir des relations amicales entre la France et les Indiens soumis à son autorité. Au Brésil, de nouveaux obstacles ne tardèrent pas à mettre à l’épreuve le courage et les hautes facultés d’Alvarez Correo. Le chef portugais triompha de toutes ces difficultés, et exerça sur les peuplades indiennes une autorité bienfaisante. Sa femme se signala à ses côtés par une fermeté, un courage dignes de son époux.