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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1076

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J’ai recherché dans quelles circonstances la France et l’Angleterre pourront s’entendre ; naturellement, utilement pour l’une et pour l’autre, dans quelles circonstances, au contraire, elles doivent se trouver presque nécessairement séparées. Le résultat de cette recherche, ce me semble, c’est qu’il est également déraisonnable de se déclarer l’adversaire ou le partisan systématique de l’alliance anglaise ; c’est qu’en cela, comme en beaucoup d’autres choses, il n’y a rien d’absolu. Quant aux chances probables d’alliance intime, ou, si l’on veut, d’entente cordiale, je les crois très faibles aujourd’hui, et tant que rien ne bougera en Europe. En cas de crise européenne, je les crois bonnes si la lutte s’engage entre le principe libéral et le principe absolutiste, suffisantes s’il s’agit d’une guerre territoriale en Orient, nulles absolument si la guerre éclate en Amérique. Au milieu d’éventualités incertaines, diverses, contradictoires, il me paraît d’ailleurs évident que la saine politique commande de n’avoir aucun parti pris d’avance, et de garder à tout évènement l’entière liberté de son jugement et de ses mouvemens.

Après avoir examiné la situation respective des deux pays indépendamment des cabinets qui les gouvernent et de la politique qui y prévaut, il reste à voir jusqu’à quel point leurs relations peuvent être modifiées par l’existence de tel ou tel ministère, par le triomphe de tel ou tel parti.

Il existe, on le sait, deux partis, les whigs et les tories, qui, depuis 1688, ont alternativement gouverné l’Angleterre. A plusieurs époques, ces partis se sont étrangement mêlés, modifiés, transformés ; ils n’en ont pas moins conservé, ils n’en conservent pas moins encore leur nom et leur individualité. Il serait curieux d’examiner quelle a été depuis cent cinquante ans, par rapport à la France, la conduite de ces partis ; mais un tel examen dépasserait les bornes de cet article. Je me contente de remarquer qu’ils ont été successivement pour et contre l’alliance française. A son avènement, en 1783, en 1786 et en 1787, Pitt était le partisan déclaré, énergique, de l’alliance, et Fox la combattait avec emportement et persévérance. Lorsque la révolution atteignit son paroxisme, il s’opéra entre ces deux grands hommes d’état un échange absolu. Pitt et les tories craignirent que les principes de la France ne s’emparassent de l’Angleterre, et, secondés par une fraction des whigs, ils se prononcèrent contre elle. Fox, les plus ardens des whigs et les démocrates, lui apportèrent au contraire leur appui systématique. « J’avoue, disait Fox en 1792, que la révolution française a changé toutes mes idées sur les alliances. » Depuis ce