Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’un des entrepôts les plus considérables de la traite. Il y eut grand débat entre les habitans et les négriers, qui trouvaient le prix des esclaves trop élevé. A la fin, le négrier français se soumit aux conditions qui lui étaient faites ; mais les négriers anglais, sur le refus des habitans de baisser leurs prix, bombardèrent la ville et la détruisirent. La cruauté des négriers était proverbiale, et le capitaine d’un navire anglais, le Zong, mécontent des résultats de son expédition, ne craignit pas, pour profiter du bénéfice de l’assurance, de jeter à la mer les cent trente-deux esclaves qui lui restaient.

Les nègres achetés ou enlevés étaient conduits à bord. Le nombre d’esclaves que l’on pouvait embarquer était réglé par la loi et dépendait du tonnage. En Angleterre, un navire au-dessous de 150 tonneaux ne pouvait prendre plus de 5 nègres par 3 tonneaux, et au-dessus, plus de 3 par 2 tonneaux : la hauteur de l’entrepont ne devait pas être moindre de cinq pieds. Les lois espagnoles et portugaises accordaient 5 hommes par 2 tonneaux, ce qui revient exactement au même, 2 tonneaux espagnols valant 3 tonneaux anglais. Du reste, les prescriptions de la loi étaient souvent éludées : on faisait d’ordinaire enregistrer le navire pour un tonnage beaucoup au-dessus du tonnage réel. En 1788, M. Pitt fit mesurer quelques négriers de Liverpool, et l’on trouva que l’espace accordé à chaque esclave était de cinq pieds six pouces (cinq pieds français) en longueur, et de seize pouces en largeur. La hauteur du pont variait de quatre pieds à cinq pieds quatre pouces. Les esclaves étaient enchaînés deux à deux par un pied et une main, et de plus attachés au pont par une cheville à boucle : il leur était impossible de se tenir debout, à moins de se trouver directement sous une des ouvertures du pont, et souvent ils étaient obligés de rester couchés sur le côté sans pouvoir changer de posture. En effet, à moitié de la distance qui séparait du pont le fond du navire se trouvaient encore des plates-formes de huit à neuf pieds de largeur, qui s’avançaient en travers et sur lesquelles on étendait une seconde couche d’esclaves. Il arrivait souvent qu’un brusque mouvement du navire faisait rouler ceux-ci sur les malheureux placés au fond, et il en résultait de nombreux accidens et des luttes effrayantes entre les nègres. Une fois à bord du navire, les esclaves y restaient dans la posture qu’on leur avait fait prendre jusqu’à ce que le chargement fût complété et qu’on eût mis à la voile, c’est-à-dire souvent six semaines et davantage.

En mer, les esclaves passaient habituellement sous le pont quinze à seize heures sur vingt-quatre ; mais par le mauvais temps ils étaient