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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1118

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si pâle, si maigre ; déjà le Doute, comme un espion rusé, s’est glissé dans le camp mal gardé de mon ame.

« La tête courbée, comme si l’abîme m’attirait, frappé, blessé, je tombe à terre ; puis, avec mon souvenir, comme un boiteux sur sa béquille, je m’en retourne vers mes songes abandonnés.

« Mon regard parcourt le harem avec la rapidité d’une flèche ; l’Espérance était assise, voilée, sombre, muette ; la Foi me sembla un enfant qui s’agenouille devant une poupée bien parée.

« La Douleur, ce rude et sanglant corsaire qui rôde sur la mer silencieuse des Larmes, m’avait enlevé les deux plus belles compagnes, la Joie mélodieuse et ma féconde Imagination, veuve désormais.

« Or, je vis passer une femme ; son sein oppressé se soulevait, son œil était grand et superbe, son front était chargé de pensées. Mes amis, d’une voix inquiète, me criaient : Oh ! ne suis pas, ne suis pas la courtisane !

« Dors en repos au sein de la maison paternelle, dans les bras de l’habitude et de la loi prescrite ; la courtisane te perdra ; ses voluptés cruelles empoisonneront ta vie.

« Mais moi, enivré, je me confiai à elle ; elle m’enchaînait par sa douce magie, et, dans l’ivresse de notre amour, elle me chantait, la fiancée charmante, les légendes sorties de son ame de feu.

« C’est la muse du temps présent ! et ses désirs, ses amours, ses enfantemens, ses efforts, tout le travail de ses nuits inquiètes, je l’écris ici avec le sang de mon cœur. »


Cet appareil dramatique, ce sultan, ce harem, cette lutte avec le corsaire, toutes ces images de l’Orient, sont déjà fort surprenantes dans un tel sujet ; mais ce n’est là que l’introduction : l’ouvrage est divisé en quatre parties, que l’auteur appelle contes, légendes. La première de ces légendes, ce sont les Aventures d’un étudiant de Leipzig. J’insiste à dessein sur ces détails, qui nous font entrevoir dès à présent la physionomie particulière de l’auteur. Tous ces titres imprévus, incohérens, accumulés on ne sait pourquoi, attestent chez lui un goût bizarre que nous retrouverons dans les meilleures inspirations de sa muse ; et comme s’il n’y avait pas assez de singularités et de caprices dans sa poésie, il la produit avec tout le luxe d’une mise en scène fantastique.

Écoutons donc cette première légende ; il s’agit d’aventures. Aventures de guerre, d’amour et de chevalerie ? Non, aventures de l’esprit et de la pensée ; le héros est un étudiant de Leipzig, et la légende se place en 1838. Cet étudiant, c’est le jeune Hongrois qui visite les universités du nord, et qui vient cueillir le fruit à l’arbre de la science.