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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1141

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dans le château lui-même ; ici, c’est la chambre de sainte Élizabeth ; plus loin, voilà la salle des chevaliers où la tradition place le poétique combat des minnesingers ; un peu plus loin encore, dans cette chambre étroite, en face des montagnes de Thuringe, les yeux tournés vers le nord, Luther écrivait sa traduction de la Bible. Il n’y avait rien dans ces souvenirs si différens qui pût contrarier nos intelligences, Je comprenais qu’elle avait été l’inspiration de Novalis quand il unissait, avec tant de douceur, ces traditions opposées, et pacifiait au fond de son ame deux époques ennemies. Pourquoi recommencer, en effet, ces luttes stériles ? Il y a dans les vers de M. Beck un sentiment vivace des droits du monde nouveau, et je l’en félicite ; mais, pour vanter le libre réveil du XVIe siècle, fallait-il que le poète mutilât son tableau ? S’il en eût montré tous les aspects avec calme, avec grandeur, cette impartialité, si facile aujourd’hui, eût été le meilleur signe de la victoire. Que maintenant encore, sur bien des points, il soit nécessaire de combattre, cela est trop évident ; mais là, sur ce terrain du passé, n’est-ce pas une faute grave ? Prenez garde : celui qui veut recommencer sans cesse ces luttes désormais finies ne paraît pas croire assez fermement que l’esprit moderne ait triomphé.

Je m’étonne que M. Charles Beck ait mérité ce reproche, car son poème se termine par de très beaux vers sur l’unité future, sur la paix, sur la réconciliation du genre humain. Je suis heureux de pouvoir louer sans restriction ces hymnes éloquens ; le poète est bien inspiré quand il montre chez tous les peuples, chez toutes les races, cher toutes les religions, l’avènement prochain de cette croyance qui s’appelle la liberté, le droit, l’humanité. S’il faut absolument chanter des hymnes politiques, chantez ces dogmes, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus pur et de plus élevé dans les principes de 89, et vous serez bien sûrs d’être dans le vrai ; chantez ce droit nouveau, ces principes si féconds, ces sentimens de fraternité humaine qui ne contrarient certainement ni le catholicisme, ni le protestantisme, mais qui, arrachant les hommes à leurs dissentimens stériles, leur ouvrent, dans l’ordre des choses terrestres, une foi commune et une commune patrie. Je traduis les derniers vers de M. Beck :


« Le guide me montre les murailles de la pauvre chambre où agissait ta pensée, où souvent, comme saint George le chevalier, tu joignais en priant tes mains loyales, avec toute la vigueur allemande. Pourquoi a-t-on placé ici ces ornemens frivoles ? pourquoi tout ce faux clinquant dans ce silencieux ermitage ? La vérité habite une chambre pauvre et nue.

« C’est ici, à cette table, que tu écrivais souvent, à cette table qui chancelle