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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/183

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Slaves et de l’état accidenté de son territoire. Ces montagnes, ces fleuves, ces profondes vallées qui brisent l’unité du sol, ont également déchiré l’unité politique en une multitude de petits états. La France, qui est au contraire douée d’un système géographique admirablement homogène, a aisément ramené sa population à une seule existence nationale. Strabon, rien qu’en se fondant sur des considérations tirées de la surface topographique des Gaules, avait prédit la centralisation à venir de notre pays. Nous pouvons, en nous établissant sur la même base, prévoir les changemens que les chemins de fer amèneront. Ce n’est rien avancer de neuf que de dire qu’ils achèveront l’unité nationale des grands états de l’Europe. En Allemagne, ce qu’on nomme à cette heure le type slave germanisé n’existe encore qu’à l’état d’ébauche. Les obstacles opposés par la nature des lieux à la communication des divers rameaux qui constituent les deux races ont puissamment contribué à maintenir leurs caractères respectifs, et avec eux les principaux traits de leur nationalité. L’unité de la France existe en principe, mais existe-t-elle en fait ? Les provinces du midi n’ont pas les mêmes intérêts que celles du nord ; la Normandie ne parle pas la même langue que l’Alsace, Bordeaux ne tient à Paris que sur la carte. La révolution, la république une et indivisible, ont passé au-dessus de la tête des populations de l’ouest sans rien déranger à leurs mœurs, à leurs habitudes, à leurs croyances d’il y a deux siècles. Ouvrir la Bretagne, y faire pénétrer des voies de communication et de progrès, ce sera conquérir une seconde fois l’Armorique au royaume de France. Les chemins de fer, en rendant plus centrale la position de Paris, sèmeront l’enseignement dans les provinces incultes ; où ils passeront, la lumière sera. Or, quand la France entière saura lire, quand toutes ses parties seront rattachées entre elles par les liens de l’intelligence et du commerce, quand son territoire, déjà si compact, aura renversé la barrière matérielle des distances, quand Marseille ne sera plus qu’à deux jours, et peut-être même à vingt-quatre heures de Paris, l’unité morale, politique et industrielle de notre nation deviendra complète.

L’action cohérente des chemins de fer ne s’arrêtera pas toujours aux limites nationales. Nous croyons que les états du centre de l’Europe sont destinés à s’asseoir sur une assiette plus étendue. Les chemins de fer concourront à effacer certaines divisions arbitraires contre lesquelles la guerre a été impuissante. Jusqu’ici les grands royaumes ont joui d’une existence assez fixe ; mais entre eux s’enclavent de