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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/233

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Cette administration semblait faiblement organisée. Non-seulement aucun des véritables chefs de parti n’y siégeait à côté de Pitt, mais, à l’exception de Dundas, déjà connu comme un homme habile, laborieux, très-propre à soutenir une discussion d’affaires, à l’exception de William Grenville, trop jeune pour qu’on eût pu apprécier sa haute capacité, les auxiliaires du premier ministre ne lui promettaient qu’un faible secours contre Fox, lord North, Burke, Sheridan, Windham, placés à la tête d’une imposante majorité. À cette formidable ligue, un ministre de vingt-quatre ans, médiocrement pourvu de ces alliances de famille qui sont une véritable puissance dans un pays tel que l’Angleterre, n’avait à opposer en apparence que la volonté du roi. L’entreprise qu’il tentait était d’une telle hardiesse, que ses ennemis n’en pariaient qu’avec dérision. Fox affectait de ne pas croire qu’il pût pousser la présomption jusqu’à compter sur quelques semaines de ministère. Les partisans même du cabinet conseillaient comme unique ressource la dissolution de la chambre des communes. Pitt, avec son tact et son calme ordinaires, jugea que le moment n’était pas venu, que l’opinion, encore étonnée et indécise, n’était pas suffisamment mûre, et qu’en opposant une résistance mesurée aux emportemens d’une majorité exaspérée jusqu’à la fureur, on l’amènerait ou à se calmer ou à se discréditer tout-à-fait.

La grande inquiétude de cette majorité, qui n’était rien moins que sûre de représenter le sentiment public, c’était précisément d’être frappée de dissolution. Pour écarter ce danger et lier les mains au gouvernement, elle ajourna indéfiniment le vote du bill de l’impôt territorial, dont les deux premières lectures avaient déjà été faites. Dans le comité qui eut lieu en vertu de la résolution prise quelques jours auparavant pour examiner l’état du pays, Erskine présenta un projet adresse au roi ; il demandait qu’on suppliât le monarque de ne pas écouter ceux qui, sans tenir compte des exigences impérieuses du bien public, lui conseillaient, disait-on, de dissoudre le parlement. Pitt, soumis par le fait même de son avènement au ministère à la nécessité de se faire réélire, n’avait pas encore obtenu la nouvelle investiture de ses commettans ; il ne put donc prendre part à la discussion. En son absence, un de ses amis déclara que, loin de penser à la mesure indiquée par Erskine, il donnerait sa démission plutôt que d’y consentir. Fox et lord North répliquèrent qu’ils ne mettaient pas en doute la loyauté de cette promesse, mais qu’ils étaient moins convaincus de son efficacité, le ministre qui venait d’arriver au pouvoir par des moyens inconstitutionnels n’étant, ne pouvant être que