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toute méridionale que l’on peut mener à Malte, et l’on n’y saurait vivre autrement, car la société anglaise, toujours un peu froide et agréable seulement à la longue, imposerait au voyageur, dont le séjour à Malte est toujours de courte durée, plus d’obligations qu’elle ne lui offrirait d’agrémens.

Il ne faut pourtant pas nous faire plus mauvais que nous n’étions. On se tromperait si l’on pensait que pas une sérieuse réflexion n’interrompît nos éclats de rire et qu’il n’y avait point place pour l’étude dans cette vie si animée, si joyeuse, et je dirais volontiers si poétique, car un beau ciel et une jeunesse en sève prêtent de la poésie à la paresse elle-même. À Malte, on ne peut ni faire un pas, ni rien regarder, sans évoquer des souvenirs, et, toute fausse modestie à part, nous n’étions pas de ceux qui ferment l’oreille aux échos du passé. Un jour entre autres, je me le rappelle, nous passâmes de longues heures assis en cercle à nous faire les uns aux autres un cours d’histoire de Malte. En voyageurs prévoyans, nous avions de longue main étudié la matière avant de quitter la France, et forts chacun de nos souvenirs récens, nous discutâmes jusqu’au soir de la façon la plus aimable. C’était au Boschetto. Le matin, nous étions venus à cheval vers ce château des anciens chevaliers. Le Boschetto est un vieux manoir de pierre lourd, solide et carré, bâti à l’extrémité de l’île sur des rochers. Ce nom riant, qu’il semble peu mériter au premier abord, il le doit à une petite vallée, longue d’un mille, creusée dans la pierre, assez bien garnie de terre végétale et remplie d’assez beaux orangers. C’était la villa des chevaliers. Dans les vastes salles du manoir, aujourd’hui désert et silencieux, ils se délassaient joyeusement de leurs travaux, s’il faut en croire cette inscription peu édifiante qu’on lit encore sur une porte : Hoc curoe cedant loco. De quelle époque date cette inscription écrite en grandes lettres noires ? je ne sais, mais je serais tenté de ne pas la croire plus vieille que la régence, et elle me rappelle involontairement le mot célèbre : « à demain les affaires sérieuses. » Dans le jardin du Boschetto, on élevait des cerfs de Corse et des daims d’Irlande que l’on chassait dans l’île, et la petite maison cachée au bout de la vallée était, dit-on, la fauconnerie des chevaliers. Après avoir parcouru le bosquet trop renommé et les salles nues du vieux château, nous montâmes sur la terrasse. De là, les regards planent sur toute l’île, et nous vîmes mieux que jamais dans tout son ensemble ce paysage blafard. À notre gauche se détachait au loin sur les flots un îlot de craie encore plus aride que Malte c’était Gozze, qu’on dit être cette île de Calypso que bordait un prin-