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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/279

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surtout une révélation lumineuse qui doive dissiper je ne sais quelles profondes ténèbres, une eau désirée qui tombe enfin sur les lèvres de la multitude haletante ; il semble que ceux qui n’ont pas la foi qu’il prêche ne puissent s’empêcher de dire à ceux qui l’ont : Vous êtes bien heureux ! Tout cela n’est pas la vérité. Celui qui embrasse la foi croit uniquement fortifier une première certitude en l’appuyant sur une seconde ; ce ne sont point en lui des ruines qu’il veuille à tout prix réparer, c’est un édifice qu’il espère compléter : cherchez un homme sensé qui parle autrement ! Celui qui reste en dehors de la foi s’en passe par des motifs qui le contentent, et certes il peut trouver encore dans le seul fond de la nature humaine, dans la vue de ses rapports rationnels avec le monde et avec Dieu, il peut trouver en lui-même et sans l’assistance du dogme les élémens certains d’une conviction assez pure, assez religieuse pour mener dignement et paisiblement sa vie.

A quoi M. Lacordaire répond que ce n’est pas là piété, mais athéisme ; puissance, mais désespoir ; doctrine raisonnable et méditée, mais caprice et frivolité damnable. Quelle étrange clameur ! « Ne voyez-vous pas, nous crie-t-il, ne voyez-vous pas que le nègre, le Caffre ou le Hottentot, sont plus heureux que vous, qu’ils ont plus de vraie science que vous n’en avez, que les fausses religions parleront contre vous au jour du jugement ? » Et M. Lacordaire nous annonce qu’en ce jour suprême, Dieu, mettant tous les savans à sa gauche, leur dira de sa bouche (j’emprunte ses paroles) : « Savans, j’avais donné la paix à mes nègres, à mes sauvages, à mes Caraïbes ; ils vivaient tranquillement à l’ombre de mon nom, et vous qui vous êtes torturé l’esprit, qui avez pris en vous votre point de départ et votre point d’appui, vous n’avez emporté de vos recherches qu’un désespoir qui ne vous a pas même appris votre impuissance ! » J’ai beau vouloir, je ne saurais regretter les fétiches des Hottentots quand je vois l’ordre admirable de la société moderne ; je ne saurais croire que Dieu ait mis plus de lui-même sous ces huttes abominables que dans les majestueux édifices de la patrie civilisée. Je ne puis penser qu’il soit contre les intentions de la Providence que l’esprit de l’homme travaille ; je ne pense pas du tout qu’il puisse jamais travailler en pure perte. M. Lacordaire lui-même nous rend plus de justice, lorsque des inspirations meilleures l’emportent par hasard sur les préjugés de son esprit ; mais on ne transige pas avec les théories. M. Lacordaire s’est fait leur avocat, il reste leur esclave ; il ose bien insulter à nos efforts, et nous reprocher avec amertume d’avoir commencé d’hier. Non, ce