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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/297

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naturelle, la force rationnelle elle-même. Il oublie alors qu’il a tout à l’heure expliqué le phénomène de la foi mystique de la seule manière dont il soit explicable, par « une vision translumineuse » du cœur plutôt que de l’esprit ; il oublie qu’il en a fait ce qu’il faut nécessairement en faire, un acte de la volonté touchée plutôt que de l’esprit convaincu. La théorie de la raison, dit-il, est aussi la théorie de la foi ; » vous allez voir comment, et vous comprendrez la pauvreté d’une argumentation réduite à de pareilles ressources. C’est que « le même berceau, la même parole provoque à la fois la naissance de la raison humaine et celle de la raison catholique, parole à la fois terrestre et céleste, parole humaine et surhumaine, la parole de la mère qui n’a jamais blasphémé Dieu. » Et vient alors au secours de cette théorie de la foi je ne sais quelle théorie de la mère, comme on nous donnait tout à l’heure la théorie de l’homme d’état et de l’homme de génie ; toujours ces lieux communs d’éloquence indignes de la gravité du langage chrétien, et bons seulement à guinder sur des hauteurs nébuleuses des types abstraits de grandeur et de vertu. La belle preuve pour clore toute une discussion : « Si l’on avait confié notre berceau à des hommes, ah ! peut-être, dans l’animosité de leurs passions, ils auraient pu nous dérober Dieu ; mais notre berceau a été mis sous la garde de nos mères, et jusqu’à présent, même parmi les faux cultes, les enfans ont appris à nommer Dieu en même temps que l’homme. Je vous en rends grace, mères chrétiennes, au nom de vos fils qui sont ici présens, au nom de l’humanité tout entière. » Ce n’est plus de la raison, ce n’est plus rien, c’est de la sensiblerie ; c’est peut-être de l’habileté : qu’on pleure, si l’on peut, mais passons outre. Ce qu’il fallait nous expliquer, ce n’était point cet apprentissage matériel de la foi à l’école de la superstition, c’était cette prétendue communion du mysticisme et de la raison dans la pensée de l’homme.

De la morale de M. Lacordaire, je n’en dirai que peu de chose, on la connaît à l’avance ; elle découle, nécessairement de sa doctrine du sacrifice, et sa doctrine du sacrifice est celle de M. de Maistre ; il y fait tenir toute la religion. Heureusement il n’a pas dans l’esprit cette rigueur farouche avec laquelle son terrible maître tirait les conséquences de son principe : une terre arrosée de sang, une société assise sur l’échafaud. Ce sont là des images trop cruelles, en même temps que trop fausses, pour que la seule nature du génie français ne les repousse pas malgré les torts d’une éducation mauvaise ; mais M. Lacordaire répète d’ailleurs en toute assurance le principe même : « La