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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/299

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sensée, qu’on ne peut dire quelle précieuse lecture c’est encore aujourd’hui. Nous ne sommes entourés que de géomètres qui nous construisent en l’air des figures idéales ; c’est un bonheur de retrouver ces solides fondemens d’une pensée droite et sérieuse. Et puis, que voulez-vous ? Bossuet est gallican, et la mode est d’être ultramontain ; Fénelon fut en trop bonne odeur dans le XVIIIe siècle pour avoir la confiance des dévots du nôtre ; Massillon n’était qu’un prélat de cour, et nos évêques sont démocrates. On n’a pas encore songé à récuser Bourdaloue ; je suis bien aise de voir ce qu’on pourra trouver d’objections à l’endroit de sa sagesse ; en attendant, qu’on me permette d’en profiter une dernière fois, pour corriger celle de M. Lacordaire.

Vous ne savez pas ce que c’est que la sainteté ? « Je vous citerai un exemple, dit M. Lacordaire, pour que vous me compreniez mieux. Sainte Élisabeth de Hongrie, ayant abandonné le palais de ses pères et le palais de son époux, s’était confinée dans un hôpital pour y servir de ses mains les pauvres de Dieu. Un lépreux s’y présenta. Sainte Élisabeth le reçut et se mit à laver elle-même ses effroyables plaies. Quand elle eut fini, elle prit le vase où elle avait exprimé ce que la parole humaine ne peut pas même peindre, et elle l’avala d’un trait. Voilà le sublime, messieurs, et malheur à qui ne l’entend pas ! »

Je plains donc bien fort Bourdaloue, qui certes ne l’entendait pas à votre manière, car voici comme il parle : « Les uns font consister la sainteté dans des choses extraordinaires et singulières, et les autres dans des choses extrêmes et outrées ; les uns dans ce qui éclate et brille, et les autres dans ce qui effraie on qui rebute. Or, je dis que l’exemple des saints confond toutes ces erreurs : les saints, par leur exemple, nous prêchent une vérité, mais une vérité touchante, une vérité édifiante, une vérité consolante, savoir que sans l’éclat de certaines œuvres ou leur austérité, que sans sortir de notre condition ni quitter les voies communes, toute la sainteté, la vraie sainteté est de remplir ses devoirs et de les remplir dans la vue de Dieu, d’être parfaitement ce que l’on doit être, et de l’être selon Dieu, de se conduire d’une manière digne de l’état où l’on est appelé de Dieu. Vérité à laquelle notre raison se soumet d’abord, et qu’il suffit de comprendre pour en être persuadé ! »

Je laisse qui l’on voudra choisir, entre la sainteté à la façon de M. Lacordaire et la sainteté à la façon de Bourdaloue.

Parlerai-je maintenant des idées politiques de M. Lacordaire ? il a beaucoup passé pour en avoir, et il rencontre certains sujets, son langage