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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/379

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L’issue de la campagne des corps francs, que Berne s’est empressée de désavouer, montre les fruits de cette politique et ce que peuvent en attendre ceux qui échouent en la pratiquant. Si elle parvient à s’assurer une majorité en diète, ce sera probablement la guerre civile organisée qui succédera à celle des volontaires. Cette conséquence découle presque nécessairement de la situation du parti radical. Pour triompher en Suisse, il a dû choisir un drapeau populaire, l’expulsion des jésuites ; il est maintenant contraint de suivre son drapeau. Ne recule pas qui veut. — Le parti ultramontain s’est fortifié dans la dernière crise. Les catholiques, en Suisse, n’aimaient guère les jésuites ; maintenant ils les défendront au prix de leur sang. Les protestans non radicaux étaient en diète et ailleurs de réels antagonistes pour le jésuitisme : ils sont contraints de laisser agir ceux qui se soucient, au fond, assez peu des jésuites, mais qui se servent de leur nom comme d’un instrument. Par le changement capital qui s’est fait dans le vorort zurichois, il n’y a plus d’intermédiaire imposant entre les partis extrêmes. Lucerne ne peut se fier maintenant au directoire devenu radical, quelque modéré qu’il puisse paraître. Le parti libéral proprement dit n’a plus de représentant influent dans la confédération, car Genève, qui s’est fait beaucoup d’honneur par la fermeté, la dignité de son attitude, Genève n’est ni un grand canton ni un canton directeur. Il manque un terrain où puisse s’appuyer une opinion forte et contraire à la fois aux deux principes ennemis. Cette opinion existe pourtant, mais opprimée par la violence des passions rivales ; c’est elle qui pourra peut-être enfin venir en aide au pays, une fois la crise passée. La France ne peut comprendre que difficilement une pareille situation ; il importe cependant de la bien connaître, car les questions qui se débattent en Suisse touchent aux plus graves intérêts de la politique européenne.


— Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié le bel article sur Mme de Charrière donné, il y a quelques années, par M. Sainte-Beuve, non plus que la correspondance si inattendue et si curieuse de Benjamin Constant avec l’auteur des Lettres de Lausanne. L’intérêt, après ces remarquables publications, devait naturellement se reporter sur ce roman trop peu connu et si digne de l’être. Une jolie édition, depuis long-temps désirée des lettrés, vient enfin de voir le jour[1] : elle servira certainement à populariser le nom de Mme de Charrière qui, selon nous, a sa place marquée à côté tout au moins de celui de Mme de Souza. Peut-être même, aux yeux de certains lecteurs, les Lettres de Lausanne l’emporteront-elles encore sur Adèle de Sénange ; mais ceux qui ne portent pas jusque-là leur prédilection ne peuvent pourtant manquer de faire accueil à cette œuvre distinguée qui demeurera comme l’une des plus aimables productions de la fin du dernier siècle. Ce volume, composé avec agrément et variété, ira de lui-même dans toutes les bibliothèques vraiment littéraires.


V. DE MARS.

  1. Un vol. grand in-18, chez Jules Labitte, quai Voltaire.