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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/406

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ne rendre compte de ses actes qu’aux directeurs et aux ministres. C’est ce qu’il ne faut pas oublier dans la suite de ce récit.

Averti des espérances de la compagnie pour la conservation réciproque de la neutralité aux Indes, La Bourdonnais n’y vit qu’une illusion ridicule, et n’hésita pas à exprimer son opinion dans toute son étendue. « Admettant même que les gouverneurs de Pondichéry et de Madras pourraient s’entendre pour arriver à ce résultat si difficile, comment arrêter de pareilles conventions avec les comptoirs de Bombay et de Calcutta, tous indépendans les uns des autres ? comment s’entendre avec Batavia ? comment faire observer des traités particuliers de neutralité aux capitaines français et hollandais ? Les Français pouvaient-ils rester immobiles dans les mers des Indes, tandis que l’Europe était en feu ? D’ailleurs il n’est pas vrai que les Anglais aient le moindre intérêt à cette inaction. Toutes les prises appartiennent à leurs officiers. La neutralité rendrait le séjour de l’Inde inutile à leur fortune. » C’est à peu près en ces termes que La Bourdonnais écrivait à Dupleix, avec lequel il entretenait alors une correspondance assidue et amicale. Quoique enclin fortement à prendre l’initiative des hostilités, malgré les ordres insensés de la compagnie, il n’osait engager sa responsabilité personnelle, et essayait d’entraîner Dupleix dans une sorte d’opposition ; pour mieux l’y décider, il lui présentait l’appât de profits considérables que tous deux pouvaient obtenir en frappant les premiers coups, en armant en course moitié à leur compte, moitié au compte de la compagnie ; enfin, en se servant des vaisseaux armés en guerre pour faire le commerce. Ils étaient sûrs ainsi de réaliser des bénéfices immenses[1].

La tentation du gain ne pouvait toucher que faiblement l’ame haute et ambitieuse de Dupleix. Il suffisait que la guerre lui présentât une occasion d’accroissement pour la France et de renom pour lui-même ; il la saisit avidement. Toutefois il ne voulait point manquer à son devoir. Chargé de traiter de la neutralité, il s’appliqua sérieusement à faire réussir une négociation que son grand sens lui démontrait impossible.

  1. La Bourdonnais à Dupleix, Port-Louis, 12 septembre 1744. — Nous écrivons non-seulement sur les Mémoires des deux adversaires et sur les innombrables factums imprimés, que nous avons lus tous avec beaucoup de soin, mais sur la correspondance de Dupleix et de La Bourdonnais, soit entre eux, soit avec les ministres, la compagnie, les princes de l’Inde, non pas altérée, comme dans les pièces imprimées, mais sur les minutes originales, qui nous ont été toutes confiées, numérotées, légalisées et notariées.