Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1746. Son équipage était composé d’à peu près 2,400 Européens, 500 noirs, 500 cipayes, environ 3,400 hommes. Contrarié par les vents, il ne put opérer la descente de nuit ; dans la matinée du 18, il débarqua neuf cents hommes et deux pièces de canon à une lieue de Madras, et opéra une seconde descente à Saint-Thomé, soutenue par les neuf cents hommes de la première, qui s’y étaient rendus de leur côté par terre. Ni les Anglais ni les indigènes ne s’étaient opposés au débarquement. Ce fut seulement le 18 que quelques soldats s’approchèrent d’un village où La Bourdonnais s’était retranché ; ils lui tirèrent une vingtaine de coups de canon si mal, qu’ils ne lui tuèrent pas un homme. Il eut même beau se rapprocher de la ville et lui envoyer cinq à six cents bombes, personne ne répondit. « Je compte demain, écrivait-il, chauffer les Anglais de bonne grace ; peut-être finiront-ils par chanter sur le même ton. »

Leur résignation était inexplicable. Le 20, à dix heures du matin, au lieu de projectiles, le général français reçut deux membres du conseil britannique qui venaient en parlementaires, recommandés par une belle-fille de Dupleix, Mme Barneval, mariée à un Anglais de Madras. Les deux conseillers ayant demandé à La Bourdonnais quels étaient ses projets, il leur répondit « qu’il voulait se rendre maître de la place, que la mort seule pouvait s’opposer à cette résolution, que la raison était son guide dans les affaires d’intérêt, mais que l’honneur avait aussi ses lois, et qu’il ne pouvait les transgresser. » Les Anglais voulurent prolonger la négociation pour donner à l’escadre de Peyton le temps d’arriver ; mais La Bourdonnais ne leur accorda aucun répit, et Madras capitula le soir même, moyennant une rançon de 1,100,000 pagodes (environ 10,000,000 de francs).

Le mérite de La Bourdonnais dans cette expédition consiste dans l’audace de la descente, mérite réel, car il était impossible de s’attendre à la longanimité des Anglais ; mais Madras fut pris sans coup férir. Cette conquête, d’un effet moral supérieur à ses difficultés matérielles, fut moins le résultat des talens militaires de La Bourdonnais que l’œuvre de la politique de Dupleix. La Bourdonnais lui en rapporte l’honneur dans les lettres qu’il lui écrivit alors ; il en convient non-seulement avec la modestie d’un vainqueur signalé par de plus grands exploits, mais avec l’équité et la franchise d’un galant homme. En effet, la prise de Madras était le résultat des intelligences