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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/42

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lui. Ses machinations prouvées, il fut forcé de boire du sang de taureau, dont il mourut[1].

Ce prince avait alors tellement besoin d’un motif sérieux pour se livrer à quelques excès, que, malgré sa haine et sa colère contre Amasis, il ne fit subir aucun mauvais traitement à sa femme Ladicé, qu’il renvoya honorablement dans sa famille, à Cyrène.

Jusqu’ici, on vit que le roi de Perse, quoique peu sensé, comme dit Hérodote, avait quelques bons momens, et l’on ne voit pas que d’autres rois perses, Cyrus lui-même, se fussent mieux conduits en pareilles occurrences. Ses actes de folie semblent n’avoir réellement commencé qu’après ses deux malheureuses expéditions contre les Ammoniens et les Éthiopiens. La première se termina par la perte d’une armée de cinquante mille hommes ensevelis sous les sables du désert ; dans la seconde, il fut contraint de revenir, après avoir perdu une partie de ses soldats, réduits à la dure nécessité de se dévorer les uns les autres[2]. Ce double malheur exaspéra ce caractère violent, peu fait à l’adversité, et lui enleva le peu de raison qu’il avait eu jusque-là.

Au retour de cette expédition, il vint à Memphis au moment où un nouvel Apis venait de se manifester. Les habitans se livraient aux fêtes et aux réjouissances qui, selon l’antique usage, accompagnaient cet évènement. Cambyse s’imagina qu’ils se réjouissaient de son malheur. Sans écouter l’explication des prêtres, il les condamna tous à mort, comme ayant voulu lui en imposer ; il fit venir le nouveau dieu Apis, et, dans sa fureur, il lui perça la cuisse d’un coup de poignard, dont mourut l’animal sacré après avoir quelque temps langui[3]. Les Égyptiens attribuèrent, on le pense bien, à cet acte sacrilège le dérangement d’esprit dont Cambyse donna des preuves depuis ce moment. Ce qui est plus sûr, c’est qu’à partir de son retour, sa vie ne fut plus qu’un tissu de folies et de violences sans motif dont eurent à souffrir, comme Hérodote le remarque, non-seulement les Égyptiens, mais les Perses. Son premier crime, dit cet historien, fut le meurtre de son frère Smerdis, pour la raison futile que ce prince avait été sur le point de bander l’arc du roi d’Éthiopie ; le second fut le meurtre de l’une de ses deux sœurs, qu’il avait épousées toutes deux, au mépris des usages de sa nation. Ensuite, pour des motifs aussi frivoles, il tue le fils de Prexaspes, fait enterrer vivans douze Perses

  1. Herod, III, 1, 3, 13, 14, 15, 16, 33.
  2. Id., III, 25, 26.
  3. Id., III, 30.