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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/437

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même où les passe-ports de Duvelaër et de son frère étaient délivrés par l’ambassadeur, lord Albemarle, le ministère anglais envoyait aux Indes une escadre de sept vaisseaux, justifiant assez légèrement cet envoi. Le cabinet français n’osa s’en plaindre, et se contenta de ne prendre aucune précaution, car il était loin d’être dupe. Dans une dépêche du 11 mars 1754, le ministre écrivait à l’ambassadeur de France, le duc de Mirepoix : « Je suis bien persuadé, monsieur, qu’il ne vous aura pas échappé de faire sentir aux Anglais toute l’impression que peut nous faire le départ d’une escadre armée aux frais du gouvernement, sur laquelle on embarque des troupes réglées de l’état, pendant que de notre côté nous n’avons envoyé que des vaisseaux appartenant à la compagnie dans le nombre ordinaire pour son commerce, chargés en marchandises, sans qu’il y en ait un seul armé en guerre, et des soldats à la solde de la compagnie pour remplacer ceux de nos garnisons. Ce parallèle, dans le vrai, annonce assez que nous voulons la paix, que nous ne faisons rien qui y soit contraire, que les Anglais veulent la guerre, et que l’entreprise d’envoyer une escadre armée en guerre avec des troupes réglées est un véritable acte d’hostilité ; il ne nous en imposera pas, mais on ne saurait l’envisager autrement. »

Ce n’était pas la guerre que voulaient les Anglais, mais l’intimidation du gouvernement français ; ils exigèrent formellement que la France renonçât à toutes ses acquisitions nouvelles et se bornât à ses anciennes possessions. Le cabinet de Londres offrait d’en faire autant de son côté. Il exigeait aussi de la France la promesse de ne plus tenter aucune conquête dans l’Inde. L’abandon respectif de toutes les conquêtes postérieures à la paix d’Aix-la-Chapelle et l’engagement mutuel de ne plus tenter d’extension dans l’Indostan devinrent ainsi la base de la négociation. L’Angleterre donnait à ses prétentions l’apparence d’une entière réciprocité ; mais, comme il n’y avait point de proportion entre les conquêtes de Dupleix et celles des agens anglais, on voit à quel point cette réciprocité était illusoire. Quelle que fût la faiblesse du gouvernement français, il ne put cependant accéder immédiatement à une telle proposition. Déjà il avait montré une bonne volonté excessive en posant en principe que la France n’avait jamais trouvé à redire que l’Angleterre possédât aux Indes plus du double de ses propres établissemens[1] ; mais abandonner ses conquêtes parce

  1. Mémoire de Duvelaër, article 11. — Le duc de Mirepoix et Duvelaër, 6 et 9 avril 1753. -Duvelaër au comité, 3, 22 et 29 mai. — Machault à Duvelaër, 25 juin.